Franchement, on espérait mieux. L'allocution du président de la République, M. Moncef Marzouki, hier à l'ONU a été déconcertante à plus d'un titre. D'abord, la forme. Les mots débités quasi-machinalement, comme du bout des lèvres, mélangeaient la prestation solennelle à un ton un tantinet sans-conviction. Et puis le fond. L'allocution présidentielle est plutôt décousue dans son approche discursive. Elle commence par ledit Printemps arabe, bifurque par la Tunisie, tâtonne l'Egypte et la bande de Gaza, revient en Tunisie, aborde la Syrie, réinvestit la Tunisie... Bref, à force de vouloir tout dire, on plonge tête en avant dans le cafouillage et le mélange des genres. Le secret d'ennuyer, c'est de vouloir tout dire, disait voltaire. Certes, l'auditoire est vaste et la chaire est, par essence et vocation, internationale. Mais, ici comme ailleurs, l'on ne fait mouche qu'en abordant l'universel via la spécificité. Les observateurs du monde entier nous scrutent avec intérêt. Un intérêt accru par les heurs et malheurs de notre transition bloquée. Ici comme en Egypte ou, forcément en Syrie, les interrogations fondamentales fusent. A telle enseigne qu'on en vient à se demander si la dénomination du Printemps arabe n'était pas somme toute hâtive. Voire puérile. Ou l'œuvre de faussaires et faux-monnayeurs. Rien ne sert de promettre «des décennies» pour un dénouement heureux, comme l'a fait M. Moncef Marzouki. Le référentiel aux soubresauts de la Révolution française et des révolutions démocratiques bourgeoises des XVIIIe et XIXe siècles est mal à propos. Sinon un cache-misère. Nos peuples ne voudraient certainement pas être confinés dans le statut du serf moyenâgeux à qui l'on promettait l'affranchissement des décennies, voire des siècles, plus tard. Ils sont avides de conditions de vie économiques, sociales, culturelles et politiques meilleures. Si ce n'est pas ici et maintenant, du moins à brève échéance. Et ils se méfient des capteurs de dignités, de privilèges et d'héritage autopropulsés porte-parole d'un mouvement social gigantesque dont ils étaient les premiers grands absents. L'histoire des mouvements de libération nationale sous les tropiques témoigne de navrantes séquences de peuples qui ont tout sacrifié. Et auxquels les bureaucraties nouvelles ont tout promis, en vain. Aujourd'hui, la Tunisie va mal. Son élan révolutionnaire est brisé. Ses ressorts vitaux sont cassés. Elle est aux prises avec des forces fanatiques et obscures, régionales et internationales, désireuses de l'émietter en émirats islamo-fascistes. Son image en est profondément écornée à l'étranger. Sa réputation de terre d'accueil, de brassage culturel et d'échanges est détériorée. Son marasme économique profond en rajoute à sa dépréciation en tant que partenaire crédible et digne de confiance auprès des instances financières et des bailleurs de fonds internationaux. La crise politique interne persistante accuse la crise économique désormais grave et menaçant de confiner à la banqueroute. C'est dire que les observateurs nationaux et internationaux escomptaient quelque annonce présidentielle d'envergure en vue de la sortie de crise. Une initiative, une déclaration de principe, une orientation appuyée. Ils attendent du chef de l'Etat d'être à proprement parler le chef de l'Etat, en ces temps particulièrement ingrats et difficiles. Et non point un simple militant légaliste et droit-de-l'hommiste beaucoup plus soucieux d'évolutions sous d'autres cieux que dans son propre pays. Ils sont restés sur leur faim. Parce que le discours du président de la République à New York a été, sous cet angle du moins, un parfait non-événement.