Par Khaled TEBOURBI Les manifestations commémorant le centenaire de Kaddour Srarfi débutent ce soir. Elles devaient démarrer le 19 janvier dernier, date anniversaire de la naissance du célèbre violoniste compositeur. Ce n'est finalement pas un «mal» qu'elles aient été différées à ce jour du 1er octobre, qui coïncide avec la journée mondiale de la musique. Un événement dans l'événement, en somme. Kaddour Srarfi appartient, en effet, à la grande lignée des musiciens historiques de ce pays. Il naquit dans une famille de mélomanes en 1913, et fit son apprentissage auprès des maîtres de «l'âge d'or» dans les années 1920-1930. Auprès du cheikh Ali Derwish el Halabi, d'abord, qui l'initia aux fondements de la musique arabe. Le chef d'orchestre italien, Rafaelo Stirno, lui enseigna, ensuite, les bases du violon occidental. Ce fut, enfin, l'entrée à la Rachidia naissante, tour complet des répertoires et des modes typiques «Tounssi».Une formation d'excellence comme on savait en faire à l'époque. Ajoutée aux dons innés d'un artiste qui s'installera, aussitôt, et pour tout le restant d'une carrière, parmi les «ténors» de la musique et de la chanson tunisiennes. Quand on évoque la carrière de Kaddour Srarfi, on se retrouve, souvent, confronté à un bien curieux paradoxe : talent, savoir, apport et mérites d'un côté, discrétion et relative audience de l'autre. Pourquoi? Nombre de nos anciens et de nos historiens expliquent ce «décalage injuste» par le fait que Kaddour Srarfi fut le contemporain de trois générations de chanteurs et de compositeurs élevées, en leurs temps, au rang de véritables stars populaires. C'étaient les Ifrit, Tarnane, Triki, Chafia et Fathia. Ce furent, ensuite, les Riahi et Jamoussi, sans compter les musiciens et les voix d'exception qui se révèlent dès la fin des années 40 et jusqu'aux abords des années 70, les Saliha, Oulaya, Ahmed Hamza, Chedly Anouar, Mohamed Ridha, Abdelhamid Sassi et autres. Se frayer «une voie royale» au milieu de cette immensité de vedettes n'était pas chose évidente. Il fallait batailler dur, il fallait surtout en avoir la nature et le goût. Ce n'était pas le cas de Kaddour Srarfi, ô grand jamais. L'homme se distinguait par sa modestie, son calme et son raffinement. Ce n'était pas un expansif, ni un «festif», notre ami Ali Louati (dans son dernier ouvrage) le range, au contraire, parmi «les artistes méditatifs». Et il a sûrement raison. Kaddour Srarfi occupa de hautes fonctions dans la musique. Il enseigna, tôt, à la Rachidia (années 40) et en dirigea la troupe. En Algérie, il fut chargé de la direction musicale du théâtre arabe. En Libye, il veilla à la troupe principale de la radio. Il fonda également la célèbre «Firqât el khadra» composée de 70 artistes, parmi lesquels la grande Saliha. En accomplissant toutes ces tâches, il ne s'est jamais départi de sa rigueur foncière et de son aura de chef. Le compositeur qu'il fut, auteur pourtant de nombreux tubes (la Nmathelek, Ah mil inin, y a tir tâdit m'nin, ya khwilti, etc...) se gardait, aussi scrupuleusement, de partager les succès publics de ses chanteurs interprètes. Il campait le rôle qu'il affectionnait le plus : celui du créateur qui trace son sillon. Ni plus, ni moins. Mais Kaddour Srardi doit surtout sa renommée à son parcours de violoniste virtuose. On le prénomma «prince du violon». Et il le demeure sans aucun doute, principalement au regard de ses nombreux disciples et de la majorité des spécialistes. Ceux-là savent qu'il fut le seul soliste violoniste tunisien qui alliait parfaitement «la science» de la méthode à la saveur du toucher. Tous nos autres ont bâti leur réputation sur le brio et le jeu d'instinct. Lui passait d'abord par la maîtrise pour déboucher naturellement sur le plaisir pur de l'instrument. Au programme du centenaire qui commence ce soir il y a un documentaire de Mokhtar Laâjimi (projection le 11 octobre) qui aidera, espérons-le, à édifier le public sur cet aspect majeur, sans doute encore un peu méconnu, de l'artiste musicien Kaddour Srarfi. On escompte des extraits d'impros et de compositions spécifiques ou inédites. Célébrer «un centenaire n'est pas que «répertorier» le plus saillant d'une œuvre ou d'un itinéraire, c'est aussi en parachever la connaissance et la mémoire. Quand on a complété «ce maillon manquant», on est réellement immunisé contre l'oubli.