La hausse des cours des matières premières a faussé tous les calculs concernant la compétitivité, le niveau de vie et même la mondialisation de l'économie Par souci d'un meilleur ciblage des subventions publiques, un ballon d'essai a été lancé il y a quelques jours sur la suppression progressive des subventions énergétiques destinées à certains secteurs industriels, dits énergivores tels les cimenteries, les briqueteries et les sidérurgies... Le démarrage de la suppression de ces subventions était alors prévu à partir du premier octobre à hauteur de 50% et la perspective était d'éliminer totalement les subventions en 2014. Il n'en est rien jusqu'à aujourd'hui. Les autorités de tutelle semblent revoir leurs calculs, puisque ni la profession ni le ministère de l'Industrie ne confirment l'adoption d'une mesure aussi importante que décisive pour l'économie du pays. Pourquoi songe-t-on à supprimer les subventions ? Et pourquoi pas ? La question se pose aujourd'hui avec acuité non seulement en Tunisie, mais aussi à l'échelle mondiale. Au départ, les subventions injectées dans le circuit économique, que ce soit au niveau de la production ou de certains produits de base, avaient pour finalité de soutenir le pouvoir d'achat et atténuer les pressions inflationnistes. Le principe étant de maintenir les prix à la consommation à un palier accessible aux différentes catégories sociales. Or, à partir de la crise économique mondiale de 2008, les montants alloués aux subventions sont devenus de plus en plus lourds pour le budget de l'Etat. Le prix du pétrole a atteint un niveau historique (148 dollars le baril), ce qui a exercé une pression sur les énergies bio, et par là, sur tous les produits alimentaires. Depuis, la facture de la subvention a suivi une courbe ascendante aiguë. En 2010, le total des subventions directes accordées par l'Etat aux hydrocarbures et aux produits de base a dépassé les trois milliards de dinars. En 2013, ce chiffre passe au double. Et l'Etat pense sérieusement à supprimer ces subventions, du moins dans certains domaines. Mais le retour en arrière s'avère presque impossible. Car entre-temps, toute l'économie a été construite sur la base de produits subventionnés, notamment les investissements directs étrangers, de quoi fausser tous les paramètres de la compétitivité du pays, d'ores et déjà ouverte sur l'économie mondiale. Résultat : les subventions ne pourraient plus être supprimées parce que la classe moyenne ne pourrait pas supporter une hausse considérable des prix à la consommation. Même une augmentation vectorielle des salaires n'est pas possible étant donné que le niveau des salaires fait partie essentielle de la compétitivité pays. C'est l'impasse ! Meilleur ciblage Face à un tel engrenage, l'Etat a opté, suite à des recommandations du FMI, à un meilleur ciblage des subventions. L'opération consiste à acheminer les subventions uniquement aux catégories sociales nécessiteuses et potentiellement vulnérables. Un vrai calvaire dans lequel le pays s'est lancé depuis quelques années sans donner jusqu'à présent des retombées palpables. Il s'et avéré, en effet, que plusieurs contrebandiers vivaient du détournement des subventions, notamment dans le secteur de l'huile végétale et de la farine destinée à la production du pain. Ces commerçants illicites constituaient une vraie force de résistance au programme. Il s'est avéré aussi que toute suppression des subventions avait un impact direct sur le consommateur final. Et la situation d'empirer après le soulèvement qu'a connu le pays et la paralysie qui a frappé le système du contrôle économique. Dans ce contexte précis, l'option susmentionnée de démanteler les subventions allouées aux industries énergivores pourrait être perçue comme deuxième tentative pour alléger le fardeau qui pèse sur le budget de l'Etat. Il est compréhensible que l'Etat ne soit plus disposé à supporter des sommes en augmentation exponentielle au détriment du financement du développement. Cependant, il s'avère, d'un autre côté, que la suppression des subventions aux industries énergivores aurait des conséquences désastreuses sur pratiquement tous les secteurs. L'exemple du ciment est significatif sur ce plan. Si demain les subventions énergétiques allouées au ciment sont levées, le coût du bâtiment sera automatiquement revu à la hausse. Et qui dit bâtiment, dit colonne dorsale de l'économie, de laquelle dépendent plusieurs secteurs d'activité et non sans rapport avec le pouvoir d'achat... Ajoutez à cela les incidences sur la compétitivité des produits tunisiens au niveau du marché extérieur pour les secteurs exportateurs et l'essoufflement de la demande dû à la crise économique mondiale en général. Presque la totalité des entreprises ont fait leurs calculs sur la base d'intrants subventionnés, de main-d'œuvre bon marché et de conditions de travail au coût très abordable. Le blocage persiste Au fait, le blocage économique que vit la Tunisie aujourd'hui à cause du système des subventions n'est pas inédit. Le problème est même posé à l'échelle mondiale et pas uniquement dans le secteur énergétique. La Turquie est déjà passée par la même situation et a procédé à des réformes structurelles pour y remédier. Le Soudan en est un deuxième exemple qui fait face aujourd'hui à des émeutes sanglantes (une trentaine de morts en quelques jours), à cause de la suppression des subventions sur certains produits. Au niveau international, le problème des subventions a été déjà soulevé sans déboucher sur une solution lors des négociations de l'OMC pour libéraliser l'agriculture, pour la simple raison que certains pays disposent de moyens plus importants que d'autres pour subventionner la production agricole, ce qui toucherait les fondement de certaines économies, même développées. Faut-il rétablir la protection ? Certains pays y pensent, d'autres y sont déjà engagés et plongent dans des conflits internes ou externes, de quoi s'interroger sur l'avenir de l'économie mondiale, de sa mondialisation et de ses effets sur notre vécu...