Une création d'El Teatro ouvre la saison. Elle affiche un positionnement clair sur le rôle du théâtre dans tout combat citoyen. Euripide disait : « Parle si tu as des mots plus forts que le silence » et c'est dans cette phrase que se résume la valeur du silence parfois mille fois plus expressif que la parole. Et lorsque nous ouvrons un dictionnaire, nous constatons que le mot « silence » possède de nombreuses significations. Le premier est de ne pas parler, donc de se taire. Mais le silence n'est pas uniquement l'absence de paroles ou de mots, il n'est certainement pas un vide dépourvu de sens. Le silence veut toujours dire quelque chose : l'embarras, la méditation, le deuil, l'hommage aux morts, le secret, l'omerta, l'écoute de l'autre et même dans le domaine de la musique, les pauses et autres interruptions de son créent le rythme. Le silence n'est donc pas le néant, il est le domaine et le langage de la pensée. Et c'est certainement dans cet élan que le duo Naoufel Azara et Khaled Bouzid ont choisi ce genre théâtral peu commun sous nos cieux, à savoir le théâtre du silence communément appelé le mime, car il révèle, à leur sens, un parti pris : observer le silence face à des situations confuses, à l'absurdité du destin, parce que « Pas un mot » est une narration des péripéties de deux jeunes diplômés à la recherche d'un emploi. Un aller-retour cahoteux d'un concours de recrutement à un autre où ils réussissent tous les tests avec brio, mais ils ne seront pas retenus ! Khaled Bouzid et Naoufel Azara enchaînent une suite de situations mimées, où la réflexion sur l'humanité à portée locale le disputera à l'humour propre à ces deux amis que la vie et le théâtre ont réunis autour de cet obscur objet désir: la création. « Pas un mot » est un récit évocateur, fluide et par moments, — mais où l'on perd parfois le fil —, un récit marqué également, côté jeu, par la grande technicité de Naoufel Azara et par des lacunes très visibles chez Khaled Bouzid. Le premier reste, à tout point de vue, un comédien doté d'une belle présence scénique, agile et expressif dans la moindre de ses gestuelles, mais l'ensemble s'étale en longueur. Au-delà du jeu mimé, « Pas un mot » présente quand même des innovations. Un beau travail sur l'image, la composition de l'espace, les références cinématographiques bien qu'utilisées à outrance. Avec « Pas un mot », le silence n'est pas roi, les artifices de la scène et les effets sonores prennent la parole. Un travail plutôt bavard dont on devrait ramasser— surtout écourter — les scènes qui s'étalent en longueur.