Leur combat : lutter contre l'aliénation des pères. Leurs moyens : après l'échec des batailles juridiques, sensibiliser l'opinion publique et faire pression sur le gouvernement via les médias. Les récits de ces hommes sont les uns plus rocambolesques que les autres. Ils commencent tous par un mariage et finissent par un kidnapping d'enfants, par des arrestations musclées, de l'emprisonnement...des batailles juridiques qui n'en finissent pas, l'intervention d'ambassades de pays étrangers, des pères seuls, abattus, ruinés, en larmes, et surtout spoliés de leur dignité : «Notre pays ne nous défend pas, nos droits ne sont pas respectés dans notre propre pays, nos enfants ont été enlevés par des étrangers dans notre propre pays, nous sommes entraînés dans des procès interminables parce que nous demandons à voir nos enfants». L'histoire de Nabil Zakraoui, qui a commencé en 2008, est sans doute la plus dramatique en ce sens que ce père de deux filles nées d'une mère italienne en est arrivé jusqu'à être accusé d'assassinat de ces fillettes et d'encourir la condamnation à la prison à vie. Il y restera quand même une année pour les avoir cachées dans un endroit secret. Aujourd'hui, Saïda et Amira vivent avec leur mère en Italie et leur père attend toujours de bénéficier de son droit de les voir. Complicités, interventions étrangères et emprisonnement Le dernier drame en date, celui de Mehdi Mayal. «Le 28 février dernier, des membres de la Brigade antiterroriste prennent d'assaut mon domicile, m'enlèvent ma petite fille et la remettent à l'ambassade de France; la complicité des autorités tunisiennes est vérifiée dans ces affaires de ‘‘kidnapping'' d'enfants au profit du conjoint étranger». Mehdi affirme avoir reçu, en septembre 2012, un appel téléphonique de la Garde des Sceaux française, Mme Taubira, qui lui dit en substance : «La petite est notre fille pas la vôtre». Les témoignages de Ramzi Belhassan, Noureddine El Ouni, Maher Ben Sedrine ne diffèrent pas beaucoup des précédents. L'épouse de Ramzi est russe, celle de Noureddine est norvégienne, la femme de Maher est française. Tous ont connu ce sentiment de frustration et d'impuissance face à l'intervention «efficace» des antennes diplomatiques étrangères, respectives, pour «défendre les droits de leurs citoyens où qu'ils soient, ce qui n'est pas notre cas puisque nous perdons nos enfants ici dans notre pays, et ce, avec la complicité de nos autorités judiciaires et sécuritaires», précise Ramzi qui n'a plus revu son fils depuis le jour où il l'a amené au tribunal à la demande du juge en charge de l'affaire. Dans la pile de documents en possession de Ramzi, une lettre de l'ambassadeur russe adressée au ministre de la Justice, en date de juin 2011. Pour Maher, la responsabilité de ces drames est collective et elle est partagée entre les juges qui «appliquent à la lettre des recettes prédéfinies sans se soucier réellement de l'intérêt supérieur de l'enfant, sans étudier les affaires au cas par cas et sans prendre les décisions qui vont avec chaque dossier» et l'administration chargée de l'enfance. «Les délégués de protection de l'enfance n'ont aucun pouvoir de décision et toutes nos requêtes auprès du ministère de la Femme sont restées sans suite, c'est le silence total», explique-t-il. Appel à l'opinion publique Outre les larmes, difficilement retenues, à couper la parole, les visages de ces hommes sont marqués par ces traces indélébiles du désarroi, de l'impuissance, de l'échec, de l'égarement. Le sentiment d'avoir peut-être perdu à jamais «la prunelle de ses yeux» est insupportable et celui d'être lâché par les siens, ici les autorités tunisiennes, se transforme en colère. «Nos enfants sont vendus à des pays étrangers, nous avons affaire à un gang, le même depuis des années, la révolution n'a rien changé», lâche Nabil Zakraoui, désespéré. Celui qui a préféré être accusé de meurtre au lieu de renoncer à ses filles va jusqu'à souhaiter une autre intervention étrangère, notamment algérienne «en vertu des accords existant entre la Tunisie et l'Algérie», pour déclencher un processus de négociations diplomatiques afin de pouvoir de nouveau revoir ses filles. Nabil, Ramzi, Noureddine et les autres, présents à la conférence de presse organisée, hier, par l'Association de promotion de l'homme, de la famille et de la société, afin de jeter la lumière sur les drames familiaux que peuvent subir également les hommes, en l'occurrence des papas, interpellent l'opinion publique après avoir perdu de longues et onéreuses batailles juridiques. Leur unique espoir : la pression de l'opinion publique, des médias et de la société civile sur les pouvoirs publics pour réviser des lois, améliorer les procédures et promouvoir les droits des hommes dans les litiges familiaux. A ce propos, l'Association de promotion de l'homme, de la famille et de la société, créée en juin 2012 et présidée par Hatem Menyaoui, a prévu tout un programme, discutable en première lecture mais compréhensible après l'exposé des drames de Nabil et de ses pairs. Nous y reviendrons.