Secret de l'instruction ou défaut de communication entre les structures judiciaires et celles du ministère des Affaires de la femme et de la famille ? Cette affaire remonte au mois de mars dernier. Un cas de viol extrêmement choquant qui a secoué l'opinion. Ses deux protagonistes sont, victime et coupable, une petite fille de trois ans et le gardien de son jardin d'enfants. Depuis la forte médiatisation de l'affaire, compte tenu de son énorme gravité et parce que les journalistes ont fait leur travail, plus aucune nouvelle. Voilà que, depuis quelques jours, la famille renoue avec les médias, pour mettre en lumière un certain nombre d'irrégularités inexplicables et fort condamnables, à l'en croire, entourant le suivi sociojudiciaire de cette tragédie. Le présumé coupable, le gardien, a été écroué. De ce côté, déclare la mère de la fillette à La Presse, «la loi m'a rendu justice». Sauf que, selon ses dires, la directrice de l'établissement n'a pas été inquiétée. Pire, le jardin d'enfants aurait rouvert ses portes et reçoit des pensionnaires. «Comment ?». S'insurge cette maman blessée et en colère. «On ne lui a rien reproché, ni négligence, ni non-assistance à personne en danger, alors qu'elle devrait être jugée pour complicité grave» ? A l'époque, justement, des rumeurs avaient prêté à la directrice des soutiens politiques puissants, la mettant à l'abri de toutes poursuites quelles qu'elles soient. Impossible de vérifier la réouverture des lieux, théâtre du viol, en ces jours de l'Aïd. Tous les établissements éducatifs étant fermés pour la circonstance. C'est vers le délégué général de la protection de l'enfance que l'on s'est tourné. Mehyar Hamadi dément net l'information. Non, dit-il promptement, le jardin d'enfants est fermé, à ma connaissance et à cette heure-ci, nuança-t-il : «Personne n'est au-dessus de la loi. Ici en Tunisie, on ne badine pas avec l'enfance», s'est-il cru obligé d'ajouter. Le malaise ! Cependant, et au regard du traitement du dossier, des questions restent sans réponses. La petite a-t-elle été prise en charge comme s'est engagée de le faire la ministre de la Femme et de l'Enfance en personne ? Non, répond la maman : « Une psychologue a commencé à poser à ma fille des questions bizarres. Nous avons eu des doutes sur sa compétence, nous l'avons révoquée au bout de la troisième séance. Sinon de tout ce qui a été promis, rien n'a été fait ». A cela réagit M. Hamadi : « La psychologue est rattachée au ministère depuis plus de cinq ans. Elle est rompue aux cas difficiles. Or, la famille a exigé l'accompagnement d'une pédopsychiatre. C'est une spécialité qui n'existe pas chez nous, reconnaît-il. Les pédopsychiatres travaillent dans les institutions hospitalo-universitaires. Aucun ministère n'en dispose en dehors de celui de la Santé. Vous voulez que le ministère des Transports, par exemple, ait attaché à ses services un pédopsychiatre ?», compare avec esprit monsieur le délégué général. Il est tout de même assez préoccupant qu'un haut fonctionnaire chargé du bureau de la protection de l'enfance trouve normal et justifie cette carence structurelle en psychiatrie infantile, dans un département se disant chargé de la protection des enfants en difficulté. Déficience qui devrait nuire incontestablement à l'encadrement des cas difficiles et fréquents, exposés au bureau. Le ministère des Transports n'est pas en charge de l'enfance maltraitée. Quoi qu'il en soit, le juge de la famille saisi de l'affaire a requis l'expertise d'un pédopsychiatre. La fillette accompagnée de ses parents aurait suivi quelques séances à l'hôpital Mongi Slim, «séances restées sans suite», selon M. Hamadi, qui n'était pas en mesure de nous en dire plus. Secret de l'instruction ou défaut de communication entre les structures judiciaires et celles du ministère de l'Enfance ? Les informations restent floues. «Nous avons énormément de dossiers à traiter, rétorque le délégué général, des viols d'enfants, des cas d'incestes, des enfants qui ont assisté à l'assassinat de leur parent, l'un par l'autre. Il n'y a pas que ce cas à suivre, mais nous faisons le maximum», a-t-il déclaré, non sans malaise. Le dossier du viol de la fille de trois ans aurait-il subi les fameuses pesanteurs administratives ? Ou serait-il une conséquence collatérale du manque de moyens et de ressources et de l'excédent de travail ? Arguments bateau évoqués à toute occasion : «Nous travaillons avec des organismes internationaux dont l'Unicef. Nous avons des spécialistes et des juristes qui font leur travail de manière indépendante des choix politiques, et nous ne faisons aucune concession», s'est défendu Mehyar Hamadi, mais la famille n'a plus confiance en nous, a-t-il fini par reconnaître, si le ministère a perdu toute crédibilité, nous ne pourrons plus faire grand-chose ». Logique ! Seulement pourquoi ? Touchés dans ce qu'ils ont de plus cher, et désemparés comme tout le monde les a vus sur les plateaux, les parents ont-ils été amenés à mettre en doute le sérieux du ministère voire sa fiabilité et refuser l'assistance de son personnel ? Les éléments d'information manquent pour répondre avec précision à ces questions et à bien d'autres ; la petite fille s'en est-elle remise ? «Elle se porte bien», selon la maman. Comment savoir si les coupables de cette affaire sordide et révoltante ont tous été traduits en justice ? Comment savoir si des mesures exemplaires ont-elles été prises pour réguler le champ de la petite enfance qui subit depuis plus de deux ans des attaques en règle, en plus de l'instrumentalisation politique ? Face à ce déficit de communication, le dossier demeure, donc, non bouclé.