Le même revolver de type Beretta, arme à l'usage exclusif du ministère de l'Intérieur, a été utilisé pour les deux crimes, a notamment révélé Mokhtar Trifi, membre du collectif des avocats, hier lors d'une conférence de presse Le dossier de l'assassinat des leaders de l'opposition Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi prend une nouvelle tournure. «Désormais, nous détenons des données authentifiées très graves... Ce ne sont pas des spéculations ou des déductions. Ce sont des démonstrations solides, documents et analyses à l'appui du processus de dissimulation des preuves de l'assassinat de Chokri Belaïd auquel le ministère de l'Intérieur a méthodiquement procédé... Nous attendions que l'enquête judiciaire lève le voile sur ces vérités, mais comme il n'en est rien encore, nous avons décidé d'en aviser, nous-mêmes, l'opinion». Du côté de la Maison du Barreau et dans l'ambiance chauffée à blanc qui distingue les conférences de presse du collectif des avocats de défense du martyr Chokri Belaïd et de son partenaire l'Irva (Initiative pour la recherche de la vérité sur l'assassinat de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi), Mokhtar Trifi, membre de ce collectif, va énumérer pendant près d'une heure une série de données factuelles (correspondances et auditions) démontrant des actes de dissimulation des éléments du crime par les chargés de l'enquête : la division des affaires criminelles, branche de la Direction générale de la sécurité publique. Une mission très secrète « Le fait le plus grave est la dissimulation du rapport de l'expertise balistique. » Pour le prouver, Mokhtar Trifi remonte le temps, le fil des correspondances et des auditions. Le 26 mai 2013, une délégation du MI composée de trois responsables de la Direction générale de la sécurité publique (B.B., chargé des expertises en armement au sein du département des analyses et des expertises, R.R., du département de la coopération policière ; Interpol Tunisie, A.S., chef d'équipe au sein de la division des affaires criminelles), s'est rendue à La Haye et a remis les munitions et les débris récoltés suite à l'assassinat de Chokri Belaïd au laboratoire hollandais désigné par le juge d'instruction. Le 29 mai, la délégation reçoit cinq copies originales du rapport d'expertise et des conclusions ainsi que les pièces objet d'expertise. Il ressort notamment des résultats de l'expertise que les cartouches utilisées ont été tirées à partir d'un seul revolver ; un 9 mm de type Beretta 92 ou Beretta 93 R. Plus tard, l'expertise effectuée, le 12 août 2013, par la division des laboratoires criminels et scientifiques du MI tunisien, démontrera que le même revolver a été utilisé dans l'assassinat de Mohamed Brahmi. Entretemps, rien n'aura filtré de la mission très secrète des cadres du MI qui, de retour de mission, ont remis le rapport à leurs supérieurs hiérarchiques, M.S., directeur de la police judiciaire, T.S., directeur de la police scientifique et technique et l'incontournable directeur général de la sécurité publique, W.T... Atteinte à la vérité judiciaire En revanche et jusqu'à la fin du mois de septembre 2013, les autorités judiciaires en charge du dossier de l'assassinat de Chokri Belaïd, notamment le juge d'instruction et le procureur général des affaires pénales, n'ont reçu aucune réponse à leur demande d'expertise. Ce n'est qu'en relançant une longue et patiente correspondance (via ministères des Affaires étrangères et chancelleries tunisiennes et hollandaises) qu'ils seront édifiés sur le sort du rapport. L'analyse des correspondances entre les autorités judiciaires, les ministères et les ambassades et des auditions des membres de la délégation du MI qui ont eu lieu à la fin du mois d'octobre, confirment la réception et la signature des copies du rapport d'expertise par la délégation du MI depuis le mois de mai... Quatre copies auront été distribuées aux responsables hiérarchiques et une dernière classée dans les archives. Détail des auditions et des correspondances : selon l'institut hollandais, la facture du rapport d'expertise n'a pas été réglée. Il aura donc fallu attendre la fin du mois d'octobre dernier pour que les autorités judiciaires en charge du dossier de l'assassinat de Chokri Belaïd prennent connaissance des résultats du rapport dissimulé et de ses conclusions. Compromissions Parallèlement à la nouvelle tournure que prendra l'enquête judiciaire, le collectif des avocats de la défense du martyr Chokri Belaïd décide de donner un nom et une suite à l'affaire. «Crime de dissimulation des preuves du crime jugé sur la base de l'article 32 du code pénal et de l'article 18 de la loi contre le terrorisme.» Il établit en conséquence l'implication de l'officier en charge de l'enquête par la division des affaires criminelles et son chef hiérarchique dans le crime de dissimulation de documents de nature judiciaire en relation avec l'instruction judiciaire. « Il est également établi qu'outre les cadres impliqués, le directeur de la police judiciaire et le directeur général de la sécurité publique, qui en ont, à leur tour, référé au directeur général de la sécurité nationale et au ministre de l'Intérieur, sont tout aussi compromis dans ces graves infractions d'atteinte à la vérité judiciaire et à l'action de la justice, dans le but d'aider les auteurs et les commanditaires principaux à échapper aux sanctions», précise Mokhtar Trifi, indiquant qu'il s'impose désormais au juge d'instruction en charge de l'affaire d'informer le ministère public (le parquet) afin d'ouvrir une instruction sur les faits incriminés. «Faute de quoi, l'établissement de la vérité devra emprunter d'autres voies telles celles de la justice internationale... », avertit Basma Belaïd, avocate membre du collectif qui affirme que le ministre de l'Intérieur n'a pas dit la vérité sur l'origine de l'arme utilisée dans les deux assassinats comme sur le rapport de l'expertise : « Quand il nous a reçus en tant que membres de l'Irva, il a d'abord affirmé avoir reçu les conclusions du laboratoire hollandais, ce qu'il a nié après. Et quand il a donné la conférence de presse suite à l'assassinat de Brahmi, il a nié que l'arme provienne de son ministère. » De la salle de « zamaqtel » et d'autres zones d'ombre Classé numéro un dans l'échelle de gravité des faits de dissimulation des éléments du crime, le rapport d'expertise balistique n'est pas pour autant l'unique preuve escamotée. Le collectif des avocats de la défense et l'Irva en énumèrent cinq autres. Elles concernent respectivement le rôle de la voiture Fiat Sienna dans l'assassinat, l'arrestation de ses deux propriétaires et du conducteur du motocycle Vespa ayant aidé Kamel Gadhgadhi à prendre la fuite, la pratique du sport de combat thaïlandais Slate connu sous le nom de « zamaqtel » dans la salle de sport de la rue de Russie et son propriétaire, le cheickh défunt Moncef Ouerghi... Une salle dans laquelle tous les Gadhgadhi, Rouissi et compagnie se sont entraînés... Autant de circonstances ayant échappé à l'investigation policière, aux fouilles basiques et au moindre contrôle... «Nous espérons encore nous tromper... Mais nous avons la preuve que ce ne sont point de simples défaillances», a affirmé en conclusion Mokhtar Trifi.