Par Pr M'hamed Hassine FANTAR (Titulaire de la Chaire Ben Ali pour le dialogue des civilisations et des religions) Sans toucher le seuil, je m'engageai sur la voie de l'errance dans l'espoir d'heureuses et fécondes rencontres, qui seraient faites de paix, de solidarité et de quiétude. Je rencontrais des peuples, qui parlaient des langues voisines de la mienne et d'autres dont les parlers étaient différents. Suis-je araméen ? Peut-être. Mais il est certain, que Ur, Cité d'origine sumérienne, dont les vestiges dominent, aujourd'hui, le Chott El Arab, fut ma patrie, là où la guerre de la liberté et de la démocratie des Marins et de leurs alliés ne cesse de faire des ravages matériels, moraux et spirituels auxquels s'ajoute la nocivité de la pollution. Pauvre Pays de Babylone et de Bagdad, d'Hammourabi et d'Haroun El-Rachid. Il fait honte à l'humanité tout entière de voir les rues de Babylone profanées par les bottes des militaires. A Bagdad, c'est le triomphe de la mort quoiqu'elle attende la vie. Mais, qu'importe ! Dans mon errance, l'accueil m'était, alors, partout chaleureux. La nature des rapports dépend le plus souvent de soi mais pas toujours, hélas ! Je quittais donc le foyer paternel avec la certitude de me faire un pâtre, un cultivateur et un bâtisseur. J'ai sélectionné des graines et des boutures dont j'ai rempli ma gibecière avec l'intention de semer et de planter la culture, le savoir et les valeurs. Mais il me fallait conquérir l'amitié de l'autre. Chemin faisant, j'apprenais à respecter les différences et en faire une source de richesse, partagée avec mes hôtes, quels que fussent leurs teints, leurs langues, leurs religions, et leurs us et coutumes. Auprès des Cananéens, j'ai trouvé hospitalité, amitié et bienveillance; ils m'épargnèrent les affres de l'exclusion. Leur terre me fournit le pain, l'huile et tant d'autres fruits. Elle abrita la sépulture de ma très chère Sara, mon épouse et plus tard ma propre sépulture et celles des miens. Pour vous convaincre, interrogez la grotte de Macpéla. Les mythes et légendes des Cananéens me servaient de nourriture et je m'attardais sur leur imaginaire pour nourrir et valoriser le mien. Je fus bien accueilli chez ces Cananéens, peuple illustre et d'une très grande civilisation: c'étaient les inventeurs de l'individu et de l'écriture alphabétique. Quelles inventions ! Le numérique, dont on se flatte aujourd'hui, en est un simple corollaire. Des siècles et des siècles après ma mort, les archéologues de tous les temps et de toutes les nations continuent de le dire et de l'écrire. Cette civilisation cananéenne est de loin antérieure à Moïse, à David et à leurs ascendants respectifs. Les Cananéens et leurs descendants méritent donc notre reconnaissance et notre respect. Or l'autre jour, je fus tourmenté au fond de mon sépulcre par des secousses, pareilles à celles d'un séisme. J'eus soif et ma gorge se gonfla de courroux en percevant la voix d'un certain pseudo-pharaon invoquer David pour légitimer la colonisation sioniste à Jérusalem. Cruel et amnésique, cet homme ignore ou feint d'ignorer que cette ville Sainte, entre toutes, est bien antérieure à David qui l'avait conquise par la violence. Il n'en était pas le fondateur mais l'usurpateur. Bien des siècles avant la naissance de David, Jérusalem portait déjà son nom dont le baume était fait de paix, de quiétude et de ce que les Ecritures appellent la Shékhina. Elle était capitale d'un royaume cananéen. La Bible reconnaît son appartenance jébuséenne. Le verset 18 du livre XIV de la Genèse en nomme le roi : c'était Melkisedeq. Mais, toi pseudo-Pharaon, pourrais-tu établir tes origines sémitiques. Sache que tu n'es qu'un pseudo-sémite, fruit d'un prosélytisme juif, dont on ne parle guère. Pour te convaincre de l'origine cananéenne de Jérusalem, tu dois encore consulter les lettres d'El Amarna. Décidément, tu ne mérites aucun nom théophore, afin d'éviter la profanation de El et de Yahu. Pour mériter un tel nom, il faut cesser les massacres des innocents, les destructions massives, l'occupation violente des terres palestiniennes, syriennes et libanaises. Il faut respecter les conventions internationales et rompre avec Satan, dont l'alliance vous conduira aux enfers. Pour mériter un nom avec El ou Yahu, cherche plutôt à faire la paix ; essaie de te libérer et vos partisans du syndrome de Josué qui, pour s'emparer de Jéricho et d'Aï, croyait nécessaire de tout démolir et de semer la mort au son de la trompette. Pour finir cette Epître, pseudo-Pharaon d'Israël, moi Abraham l'Araméen, je te condamne au nom de la Justice de tous les dieux et surtout au nom d'Elohim. Pour cultiver l'espoir d'un monde meilleur, j'entonne le verset 11 du Psaume LXXXV : La Grâce et la Vérité se rencontrent, la Justice et la Paix s'embrassent. Pour vivre en paix et en toute sécurité, Israël se doit de reconnaître la Palestine dans ses frontières reconnues par toutes les nations avec El Qods pour métropole politique et religieuse.