Dialogue national et ANC grippés. Loi de finances 2014 contestée. Retour des grèves et des manifestations. Insécurité. Pour le commun des Tunisiens, les horizons sont bouchés et le moral au plus bas. C'est l'impasse. Il faut vraiment croire aux miracles pour garder l'espoir dans le contexte actuel de blocage, de tiraillements politiques, de bras de fer partisans, d'accusations et de contre-accusations interminables autour de scandales politiques, financiers, juridiques, sécuritaires, de campagnes de dénigrement et d'insultes contre des personnalités d'un clan ou de l'autre, de climat sécuritaire précaire et d'appel à une deuxième révolte après que le moral des Tunisiens eut touché le fond. Pour avoir été vidé de son contenu historique, le 15 novembre 2013 a porté le coup de grâce à la lueur d'espoir née de l'annonce du chef de gouvernement, Ali Laârayedh, de son intention de présenter la démission de son gouvernement conformément aux termes de la Feuille de route du Quartet signée par plusieurs partis dont Ennahdha. L'espoir des Tunisiens ne vient pas du fait que le prochain gouvernement de compétences nationales viendra avec une baguette magique pour résoudre en un temps record tous les problèmes accumulés et auxquels sont confrontés les Tunisiens, mais que le fait de céder le pouvoir traduit une volonté d'aller de l'avant et de sortir le pays de l'impasse en vertu d'un consensus, entre gouvernement et opposition, duquel tous les Tunisiens sortiront plus unis, plus constructifs...vainqueurs. On n'en est, malheureusement, pas là. Et de nouveau, la rue, en dernier recours, est sollicitée. Mais la rue, aussi, semble se refroidir. D'aucuns s'interrogent depuis quelques temps sur la relative faible affluence aux rassemblements convoqués par l'opposition. On est bien loin de la mobilisation engendrée par les deux assassinats politiques, les actes terroristes, le 13 août dernier. Ras-le-bol ou crise de confiance généralisée ? Baromètre de la rue Les partis de la Troïka et leurs alliés s'en réjouissent, bien sûr, d'autant qu'ils ont toujours prétendu que la rue leur appartient. En sont-ils si sûrs aujourd'hui ? Les discours prometteurs de campagne électorale et les déclarations de défiance à l'opposition sont-ils toujours entendus de la même oreille? Leur côte de popularité et de crédibilité n'a-t-elle pas été écorchée, et jusqu'à quel degré ? Qui, quand et comment sondent-ils la rue ? Hormis les nombreux sondages politiques réalisés par les grands bureaux d'études de marché et commentés par les médias et les experts, qui prend le pouls de la rue ? De l'épicier, du marchand de légumes, du boucher, du vendeur de pois-chiches, de la femme au foyer, du lycéen, de l'étudiant, de l'infirmière, du chômeur...au médecin, au pharmacien, à l'enseignant, au cadre de banque...l'humeur est à l'inquiétude et la déprime. Le climat de tension politique est aggravé par une perception générale de situation économique et sociale difficile et d'avenir incertain. Nul n'est, en effet, capable de prévoir de quoi sera fait demain. Une chose au moins est sûre : le pouvoir d'achat dégringole, et de nouvelles menaces pèsent sur les conditions de vie des Tunisiens. La loi de finances 2014, torpillée par tous les experts économiques, y compris la centrale patronale Utica, en dit long sur la question. Mais, comme d'habitude, le ministre des Finances, Elyès Fakhfakh, défend bec et ongles son projet et accuse ses détracteurs de diffamation, de manipulation et de désinformation. Seulement, en cherchant à contrecarrer ses opposants, le ministre enfonce le clou dans le cercueil du pouvoir d'achat du Tunisien et donne l'impression d'être déconnecté de la réalité. Pour lui, la loi de finances 2014, qui doit mobiliser des recettes fiscales pour l'Etat à partir des salariés, est tout indiquée pour préserver les classes pauvre et moyenne, sachant que pour Monsieur le ministre, la classe moyenne se situe entre 400 et 1800 dinars de salaire mensuel. «la situation est ainsi, beaucoup sont choqués par ces chiffres mais c'est comme ça», commente-t-il sur les ondes d'une radio. Le feu sous la paille C'est comme ça ! Avec 400 dinars par mois ou 1.800 dinars, on est censé, en Tunisie, appartenir à la même catégorie sociale même si l'écart de qualité de vie entre ces deux salaires s'approche plus du gouffre que du fossé. Le ministre justifiera encore son projet de loi de finances pour l'année prochaine, que le gouverneur de la Banque centrale a qualifiée de difficile, et les augmentations du prix du carburant notamment, en déclarant toujours sur les ondes radiophoniques que « ceux qui possèdent des voitures ne sont pas pauvres ». Le ministre des Finances oublie ou fait semblant d'oublier que les Tunisiens de la classe moyenne s'endettent auprès des banques commerciales, de la Banque de l'habitat et de la Cnss (crédits de consommation) pour acquérir logement social et voiture populaire. Bien sûr, il y a des indicateurs nouveaux qui sont en mesure d'induire en erreur même un ministre des Finances, comme l'augmentation de plus de 16% du nombre des riches en Tunisie en période de post-révolution, période marquée par la prolifération de la contrebande de tous types de produits y compris les armes et la drogue. Une chose est sûre, ces nouveaux riches ne se sont pas enrichis de leurs salaires et les Tunisiens le savent. Les Tunisiens ne sont pas naïfs et la classe politique ne s'est jamais portée aussi mal. Agacés par la cacophonie et l'opportunisme politiques, les discours rédondants, les ballets médiatiques des politiciens et leurs querelles face aux caméras, les Tunisiens que l'on rencontre dans la rue, les commerces, les administrations...affirment être déçus, égarés, épuisés, démotivés, inquiets. Mais ils ne sont pas passifs ni démissionnaires. Une question revient comme un leitmotiv : où va-t-on ? Et la réponse résonne comme un avertissement : «le ras-le-bol, c'est comme le feu sous la paille».