Par Hamma HANNACHI Les usines médiatiques toujours friandes de commémorations sortent les engins lourds. L'événement, qui a occupé les devants et les coulisses de la scène, est sans conteste le centenaire de la naissance d'Albert Camus, né le 7 novembre1913. Le monde des lettres dans son ensemble, de Paris à New York, de Genève à Bruxelles, des quotidiens aux émissions spécialisées, des journaux en ligne aux talk shows, fête avec faste et érudition cet anniversaire. Le mois de novembre est riche de célébrations : Proust, mort le 18 du mois. Et pour ajouter à cette liste célèbre, Doris Lessing, écrivain libre, icône du féminisme, idole de la gauche vient de s'éteindre vendredi 15 à l'âge de 94 ans. Une spéciale Camus pour commencer. La Grande bibliothèque de François Busnel (Fr5) s'est installée à la Cité des livres à Aix en Provence où sont conservées les archives du romancier, dramaturge et philosophe. Camus, l'écrivain des plus dans le monde, traduit dans plusieurs langues, mort dans un accident de voiture à 44 ans. Des invités de marque, Catherine Camus, la fille de L'homme révolté, elle a écrit « Le monde en partage-Itinéraire d'Albert Camus », entourée d'une brochette de spécialistes, qui planche sur le sujet. Alexis Jenni, écrivain prix Goncourt, Philippe Forest, écrivain, Virgil Tanase, biographe, homme de théâtre, et Michel Vinaver, dramaturge et ami de l'auteur. Celui-ci est était hors du cercle des écrivains, en 1946, il vivait à New York quand Camus y était pour une conférence, il va frapper à la porte de l'écrivain déjà connu, une amitié se tisse assez rapidement. Qui sera suivie d'une riche correspondance, il a approché l'auteur de L'étranger sous l'angle de l'humour qu'il compare à celui de Kafka, « Un humour discret et profond, un humour noir qui ne blesse pas mais protège », souligne-t-il. Vinaver fait le saut, il se met à écrire, Camus l'encourage, lui écrit « Arrachez donc au rasoir, le temps d'un livre ». Une phrase impérative, acérée, coupante. Détail : le jeune destinataire travaille chez Gillette Cie. L'inévitable question, pourquoi Camus ? Virgil Tanase « Parce qu'il est resté fidèle à ses engagements, son devoir est de donner la parole aux gens simples. Il ne se trouvait pas à sa place, la preuve c'est qu'au faîte de la gloire, il affirme « La gloire c'est les médiocres qui vous la donnent et vous la partagez avec les salauds ». Jenni « parce qu'il revient tout le temps sur le silence, l'œuvre qui l'a mené au Nobel n'est que la préparation, c'est avec son dernier roman Le premier homme qu'il allait commencer son œuvre». Philippe Forest, ce qui me fascine et a probablement influencé mon écriture : « C'est la fréquentation précoce de la mort », il était tuberculeux dès son jeune âge. Jean Daniel, écrivain directeur du Nouvel Observateur et inconditionnel de Camus, partage avec lui les deux patries l'Algérie et l'écriture. « C'est un grand romancier du bonheur » à quoi nous ajoutons « Le monde est beau et hors de lui, point de salut » ? En somme, chacun a son Camus. Mais ce qui rallie ce monde est la juste définition de l'écrivain, il la déclare au cours de son discours de remise du prix Nobel à Stockholm. Le rôle de l'écrivain du même coup, ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd'hui au service de ceux qui font l'histoire : il est au service de ceux qui la subissent... Mais le silence d'un prisonnier inconnu, abandonné aux humiliations à l'autre bout du monde, suffit à retirer l'écrivain de l'exil, chaque fois, du moins, qu'il parvient, au milieu des privilèges de la liberté, à ne pas oublier ce silence et à le faire retentir par les moyens de l'art. Cette phrase claque comme un fouet à nos oreilles, aussi nous souhaiterions que les écrivains tunisiens, maghrébins, arabes, africains, européens pensent au sort d'un jeune prisonnier d'opinion , abandonné aux humiliations, à sa solitude, à son silence dans une prison tunisienne, ce prisonnier n'est pas inconnu, il porte un nom, une identité : Jabeur Majeri est condamné à sept ans et demi pour avoir transgressé la morale. Sur Camus, des hors série qui évoquent son enfance, ses jeux dans les rues d'Alger, le soleil, l'hommage à sa mère, aux petites gens, les sans grades, son manuscrit Le Premier Homme. Il y a d'autres, des dizaines, des centaines de contributions, des spéciales, des émissions de radio, de télé, des hors séries. Camus ou la postérité d'un écrivain aimé d'abord par ses lecteurs. Pendant que les jurés annoncent les noms des lauréats, Antoine Gallimard, le célèbre éditeur participe, apprend –on (Le Figaro) à la régate Espagne –Pointe à Pitre. Sur son monocoque appelé l'Imaginaire (nom d'une collection Gallimard), il n'a embarqué que les œuvres de Camus et Proust mort le 18 novembre 1913. On imagine difficilement pour lequel le cerveau et le cœur de l'éditeur penchent.