Le président Marzouki a-t-il abusé de son pouvoir pour puiser dans les archives de la présidence et sortir une liste noire des journalistes? La Tunisie possède pourtant un dispositif juridique qui protège les données personnelles Dans un article paru le 7 octobre dernier, nous évoquions ce sujet, qui crée la polémique aujourd'hui : «Comment traiter les archives de la dictature ?». Nous rendions compte à ce moment-là des travaux d‘un atelier organisé par le Labo' démocratique et la coopération polonaise sur l'expérience de la Pologne en matière d'usage et de protection des documents noirs du régime communiste et de sa tentaculaire police politique. A la lumière de cette expérience édifiante, présentée par d'éminents spécialistes, juristes, archivistes et historiens, l'atelier avait émis plusieurs recommandations. Il a souligné l'urgence, afin d‘éviter les risques de fuites, d'identifier et de protéger les archives tunisiennes en vue de les transférer auprès d'une institution neutre. Cette institution (telles les Archives Nationales ou tout autre établissement spécialisé) qui sera en charge des dossiers noirs de Bourguiba et de Ben Ali doit être dotée des moyens nécessaires pour travailler avec professionnalisme, neutralité, intégrité et indépendance. «Instrumentalisées, les archives perdent leur crédibilité» Aujourd'hui, l'avocate Farah Hachad, présidente du Labo' démocratique, qui milite depuis deux ans pour qu'une législation spécifique soit adoptée avant l'ouverture des dossiers secrets de la dictature, est scandalisée par la publication du livre du président Marzouki où il étale sur la place publique des noms de journalistes impliqués dans la propagande pro Ben Ali et dont la matière est puisée directement dans les archives du palais. «Quand les archives sont instrumentalisées dans un but politique, elles perdent toute leur crédibilité», insiste-t-elle. Et pourtant, la connaissance de la vérité reste une phase capitale dans le processus de la justice transitionnelle, qui tarde à voir le jour... Elle ajoute, la voix tremblante d'émotion : « Quand on aspire à vivre dans un Etat de droit, on doit respecter les lois de la République. Nous disposons d'un dispositif juridique qui permet de protéger les données personnelles : la loi sur les archives de 1988 et la loi sur les données personnelles de 2004. Le président s'est-il conformé à toutes les procédures citées dans ces juridictions ? Seuls les historiens disposent de dérogations pour aborder les données personnelles. De plus, les expériences comparées de pays ayant vécu des transitions démocratiques nous enseignent que tout n'est pas vrai dans les archives. Ces dossiers, il faudra les analyser, les vérifier, les recouper... ». Vingt-cinq ans après la révolution polonaise menée par le militant syndicaliste Lech Valesa et son parti Solidarnosc, les intellectuels continuent à se poser des questions sur leur façon d'avoir réglé les comptes avec l'histoire. Malgré la création en l'an 2000 d'un institut de la mémoire nationale, instance publique tout en étant indépendante du politique chargée de traiter 90 km de documents, leur travail sur la mémoire ne s'est pas fait sans douleurs, sans ratages et sans tentatives d'instrumentaliser le passé contre le présent. En 1992, trois ans après la révolution, le ministre de l'Intérieur polonais publie avec l'accord de son chef de gouvernement une liste de personnalités politiques influentes ayant collaboré avec la police politique. On y lit, entre autres, le nom du...président de la République de l'époque ! Ces révélations provoquent un tollé chez les gens. A côté de ce sombre parfum de revanche sur des adversaires politiques...la moitié de la liste s'avère fausse ! Le chef du gouvernement fut obligé de démissionner...