Les personnages de Bastardo se croient dans une jungle... Ils sont dans un immense zoo. Le très attendu Bastardo de Nejib Belkadhi sortira sur les écrans le 8 décembre. Dans une projection réservée à la presse, le cinéaste a montré son film pour la première fois en Tunisie et en a discuté avec les journalistes. Cet opus d'1h46 minutes est déjà passé par le festival international du film de Toronto et le festival international du film d'Abu Dhabi. On lui prévoit davantage encore de sélections. D'ici là, le film sera confronté au regard du spectateur tunisien. Les amoureux de Tornatore, d'Ettore Scola, et du néo-réalisme italien en général y trouveront leur compte entre l'image, la trame et les personnages. En dépit de cela, le film est profondément tunisien. C'est là où réside sa force. A partir d'une histoire dont les éléments réfèrent typiquement à notre pays, il ouvre sur l'universalité. Il s'agit en effet d'un quartier pauvre et isolé, où les habitants sont gouvernés par la terreur de Larnouba (Chedli Arfaoui). Dans ce quartier, vit Mohsen (Monoom Chouayet), un bâtard, d'où son surnom de Bastardo, élevé par Am Salah. Souffrant du refus et de l'exclusion de ses voisins, Mohsen va voir sa vie transformée quand il installe sur le toit de sa maison un relais GSM, avec la complicité de son ami Khlifa (Taoufik Bahri). Petit à petit, le pour voir file entre les doigts de Larnouba sans cesse poussé vers plus de cruauté par sa mère Khadhra (Lassaad Ben Abdallah) — et passer dans les mains de Mohsen. La confrontation entre ces deux amis d'enfance est inévitable. La vie du quartier ne sera plus jamais la même... L'esthétique de la laideur Le film repose entièrement sur le parti pris d'une esthétique de la laideur, assumée jusqu'au bout, dans l'audace et la bravoure de l'écriture de Néjib Belkadhi. Dès les premières images, l'on reçoit en pleine figure la laideur générale et ambiante dans le quartier, depuis la musique en sur-volume dans le taxi de Khlifa, aux différents excès de comportements d'êtres humains qui ont laissé leur animalité prendre le dessus. Les décors et la lumière aident beaucoup à installer cet univers où le mauvais goût reste «beau». Ce n'est qu'une fiction, tient à nous rappeler le réalisateur mais il tend un miroir à qui veut bien y contempler son image. L'interprétation est dans l'œil de celui qui regarde. Bastardo est clairement une métaphore sur le pouvoir et ses effets sur l'Homme, mais aussi de l'Homme face à la nature qu'il défie à mauvais escient. Quand il lui manque de respect, elle finit par prendre sa revanche. C'est d'ailleurs ce que l'on voit dans la fin du film qui fait tout de même réapparaitre une touche d'humanité, comme pour dire que l'Histoire est en perpétuel recommencement. Une panoplie de personnages surréalistes Mohsen Bastardo, Khlifa, Larnouba, Khadhra ou encore Bent Essengra (Lobna Noomene) révèlent des comédiens qui se sont déchaînés et excellé dans leurs interprétations. De leurs tripes, ressortent ces personnages surréalistes, parfois caricaturaux qui font analogie aux animaux d'une jungle. Le réalisateur joue avec leurs destins, redonne vie à certains, fait apparaître d'autres après leur mort. Chacun d'eux est lié à une bête dans le film: Larnouba aime les lapins, Mohsen vit avec un chat et Bent Essengra, qui aura un rôle décisif dans les événements, a la particularité d'attirer les insectes. Nejib Belkadhi a eu cette dernière trouvaille pour présenter le personnage interprété par Lobna Noomene comme porteur de vie. Mais les habitants du quartier la rejettent, dégoûtés par les insectes qu'elle porte. Ils marquent ainsi le déni de leur humanité, qu'ils enterrent sous des couches de sauvagerie débordante et bientôt incontrôlable. Seulement, ces personnages qui croient mener un combat de survie dans une jungle ne sont que des êtres en cage dans un grand zoo. Ecrit en 2007, Bastardo est aujourd'hui un film essentiel et important. Un film à voir!