Par Hamma HANACHI Ce fut une époque, de ces temps qu'on regrette fortement, les banlieusards goulettois, les visiteurs d'un jour ou les vacanciers d'un été, vivaient en harmonie. Il y avait des communautés musulmane, juive, italienne, qui se partageaient le quotidien, la cuisine, les rituels, dans le calme, la joie ou la tristesse. Le film « Un été à la Goulette » de Férid Bouguedir montre magistralement cette période multiculturelle, hélas perdue. Il y a quelques années, Luigi Merolla, directeur du Centre culturel italien, féru de musique classique, amateur d'opéra, nous confiait son vœu de jeter des passerelles entre la Sicile et la Goulette à travers le chant de l'église située au cœur du quartier de la petite Sicile. Ce n'est pas aux Vêpres siciliennes (Verdi) qui relate une insurrection et des morts auxquelles nous avons été conviés. Mais à écouter des chants pacifiques d'un duo charmant venu du nord de l'Italie. Dimanche 15, froid et nuages. L'événement est annoncé avec éclat, l'église Saint Augustin Saint Fidèle à la Goulette s'ouvre à l'opéra. Vieilles bâtisses aux couleurs ocres, des murs hauts et croulants, linges sur les pendoirs, ruelles obscures, petits commerces, nouveaux bâtiments frais, l'église est proprette, coquette. Elle porte une longue histoire, celle des Italiens de Tunis nombreux au XIXe siècle, édifiée à partir de 1848 et achevée en 1872. Elle devient vite un lieu d'attraction avec le pèlerinage à Notre-Dame de Trapani et sa procession à travers la ville. Les plus âgés se rappellent de cette cérémonie qui marque la fin des baignades en mer. La dernière a eu lieu le 15 août 1962. Un temps de nostalgie. Endommagée, l'église a fait l'objet de travaux de réfection en 2007. Alberto Bogani, peintre fresquiste italien de renommée, a entrepris la décoration des dômes de l'édifice dont une grande fresque (6,53m x 4,90m). Scènes bibliques, figures religieuses, des statuettes colorées, vierges et angelots qui rappellent celles des nombreuses églises siciliennes. Beaucoup de monde ce soir, des officiels de l'ambassade, le doyen des Italiens en place d'honneur, beau dans son costume de cérémonie, à ses côtés l'évêque, des amis. L'argument ? Le début de la restauration de l'autel majeur, haut de plus de 2 mètres sur plus de 1 mètre et demi, a été exécuté en 1848 par Alessandro Candi, artiste jésuite qui a notamment peint le martyre de Saint-Laurent, une copie de l'œuvre de Guercino, situé à la cathédrale de Ferrare. Le tableau mité, abîmé, déchiré par endroit, ses couleurs obscurcies, représente une scène religieuse, deux saints, l'un portant des palmes, l'autre agenouillé entouré d'instrument de torture. La restauration a été confiée à Macello de la Spina, un spécialiste sicilien habitant Hammamet. Place au chant, le programme annonce dix morceaux italiens. Départ avec l'Ave Maria, extrait d'Otello (Verdi) chanté par la soprano Chiara Guidice. Robe, châle et cheveux noirs et longs, voix concentrée, sérénité et angoisse croisés, pureté de la prière. Les spectateurs, apparemment lassés du désarroi de la politique, assoiffés d'art qui élève, applaudissent à tout rompre. Suit l'Ave Maria de Schubert, interprété par le ténor David Sotgiu. Ce célèbre morceau populaire, composé en 1825, connaît un succès mondial, il a été repris par beaucoup de soprane, Barbara Bonney , La Callas, des ténors dont Pavarotti, il est un modèle du genre, abondamment exploité, simplicité, trémolos, émotions, douleur lancinante, gémissements, il transporte aux sommets. Sotgiu se dépense, ample, expressif, grain de voix en relief, poitrinaire. L'Italie, encore et évidemment, deux morceaux de Tosca, Vissi d'arte et recondita armonia (Puccini) émouvants, suivi par un duetto lent, expressif, Sotgiu, amoureux en rajoute sans mesure, Guidice se laisse bercer, théâtral, ça chante avec le plaisir des amoureux, soutenus, dynamisés par les touches admirables du piano de Toyoko Azayez, une habituée des scènes classiques locales, ça plaît, le public est ravi. Cadeau à la pianiste qui joue la Polonaise de Chopin (si bémol mineur), morceau qu'elle aime particulièrement, ensuite retour sur le chemin de Naples. La scugnizza, extrait de Napoletana (M.Costa), célébrée par Guidice, trois autres morceaux fendent la nuit, froid dans la petite église. Le couple se permet quelques libertés, des mouvements de valse, qu'importe, le public, même l'évêque, les sœurs n'en ont pas été offusqués. David Sotgiu, revient, généreux en gestes, les mains tendues vers le ciel, se lamente, il entame O'Sole mio (Di Capua), le captivant air de fin de concert. On oublie le froid, l'humidité, « Il n'y a pas un autre soleil aussi beau, mon soleil à moi est sur ton front. La tempête d'applaudissements se lève..