Les dépôts de la Pharmacie centrale de Tunisie sont pleins à craquer. Où sont, alors, passés nos médicaments ? Comme tous les autres secteurs, celui de l'approvisionnement et de la distribution des médicaments a connu de grandes perturbations et des pénuries au cours de ces trois dernières années, laissant souvent le patient dans le désarroi, ne sachant pas comment soulager son mal, du fait que l'on ne remplace pas un médicament comme on remplacerait un aliment ou un vêtement. Il n'est donc pas rare que des médicaments viennent à manquer sur le marché sans que l'on soit avisé à l'avance ni que l'on sache pourquoi ou pour combien de temps. Le problème des pénuries ou des ruptures de stock n'est, certes, pas exceptionnel à la Tunisie; des perturbations impromptues ont bien eu lieu par le passé, mais cette affaire devient inquiétante et frustrante quand la pénurie se prolonge et les pharmaciens eux-mêmes, en l'occurrence privés, affirment ne rien savoir et être dans l'incapacité d'éclairer la lanterne de leurs clients. Chercher l'information Cette absence d'informations, que certains attribuent au laxisme de l'administration de tutelle, en l'occurrence le ministère de la Santé et la Pharmacie centrale de Tunisie, et à la passivité des pharmaciens, met à mal la patience des consommateurs et accroît leur incompréhension. Cette situation est d'autant plus incompréhensible, voire inadmissible, que ces pénuries surprises affectent également des traitements de longue durée et qui ne souffrent aucun report ou retard. C'est le cas, à titre d'exemple, d'une cure de désensibilisation contre une ou des allergies qui nécessite l'injection d'allergène(s) sous forme de vaccin ; ce genre de traitement est prescrit sur une période allant de trois à cinq ans sans interruption. L'absence d'information au niveau des officines est d'autant plus injustifiée que celle-ci existe quand on la cherche. Ainsi, contactée par La Presse, Mme Nadia Fennina, directrice de la pharmacie et du médicament au ministère de la Santé, a éclairé notre lanterne sans hésitation précisant que l'origine de la pénurie du médicament utilisé dans ce cas, soit l'Alusta (suspension sous-cutanée), est mondiale. «Ce médicament est importé de l'étranger et c'est son fournisseur qui connaît des perturbations ; celles-ci ont commencé en décembre et devraient se poursuivre jusqu'à la fin du mois de janvier courant», indique Mme Fennina. Selon la responsable, le vaccin devrait réapparaître sur le marché d'ici la fin du mois, soulignant au passage, à propos de l'impact de l'interruption du traitement sur les patients : «Ce n'est pas grave si l'interruption est de courte durée, l'important est que le patient n'arrête pas le traitement». L'information est également rassurante à propos d'un autre produit (suppositoires Glyss), qui a disparu depuis plus d'un an en raison d'un incendie qui a touché le laboratoire tunisien Opalia, et qui devrait réapparaître ces jours-ci. Système de gestion des hôpitaux à revoir Le problème du manque des médicaments n'est pas, bien sûr, limité à ces deux produits ni aux officines privées. Les pénuries sont bien plus fréquentes et récurrentes, touchant même des pathologies chroniques et des maladies aussi graves que le cancer ainsi que les pharmacies des hôpitaux publics. Mme Fennina admet l'existence d'un tel dysfonctionnement mais pour le comprendre, «il faut poser les véritables questions», suggère-t-elle. S'agit-il de perturbations au niveau de l'approvisionnement en médicaments assuré par la Pharmacie centrale de Tunisie ? «Non, ce n'est pas l'indisponibilité du médicament qui est responsable car les dépôts de stockage de la PCT sont pleins à craquer, c'est-à-dire que le ravitaillement des structures hospitalières publiques se fait normalement bien que ces dernières soient endettées auprès de la PCT (300 MD)». Alors, pourquoi les médicaments y manquent-ils ? «Ce qu'il faut savoir c'est qu'il n'y a pas de contrôle au niveau des hôpitaux ni de mesures disciplinaires en cas de fautes ; dans le cas d'espèce, c'est tout le système de gestion qui est à revoir», avance la responsable. Ce qu'il ne faut pas perdre de vue, c'est l'explosion de la contrebande au cours des trois dernières années et qui a, également, touché les médicaments acheminés en très grandes quantités et clandestinement à travers les frontières surtout du sud. La dernière prise en date des douaniers ne remonte pas plus loin que le mois de décembre dernier : une cargaison comportant 42 sortes de médicaments tentait d'atteindre le territoire libyen. Qu'en est-il de la commission de lutte contre la contrebande des médicaments ? La contrebande devenue un phénomène post-révolutionnaire avait déjà engendré une augmentation de 35% de la consommation des médicaments au cours du 1er semestre de 2012. Une consommation qui n'a rien à voir avec le consommateur tunisien et qui pourtant a généré un surcoût supporté par la Cnam en vertu de la sacrosainte subvention. Ce surcoût a poursuivi son ascension jusqu'à ce jour du fait que les médicaments importés représentent 86% des médicaments subventionnés et que la dévaluation du dinar ne connaît pas de répit depuis un bon bout de temps. Dans ce contexte, complexe et dangereux, de post-révolution, il est certes difficile de débusquer les responsables, de proférer des accusations contre qui que ce soit et de prendre des mesures disciplinaires à l'encontre des spéculateurs et usurpateurs qui agissent en réseaux bien rodés, mais cela n'est pas une raison pour baisser les bras et laisser l'argent du contribuable aller dans la poche des contrebandiers et autres malfaiteurs. L'occasion de s'interroger sur le devenir du numéro vert mis en place en 2012 par le ministère de la Santé (80103 160) pour dénoncer le phénomène de la contrebande et sur la commission créée à cette date pour lutter contre ce phénomène qui sape dangereusement l'économie nationale .