La poursuite des évolutions enregistrées depuis plusieurs mois, aussi bien au niveau de la balance des payements qu'au niveau de l'inflation ou du taux de change, exerce des pressions accrues sur les secteurs de production et sur les équilibres financiers tant internes qu'externes Trois ans après le déclenchement de la «révolution», on est encore loin d'avoir réalisé les vœux et les espoirs populaires. La déception se lisait ces derniers jours sur les visages sombres et fermés des citoyens qui errent dans les rues de Tunis, notamment. En effet, ce n'est pas avec un taux de croissance de 2,7% ou 3%, respectivement selon la Banque mondiale et les autorités nationales, que le chômage va diminuer. Et le plus grave, c'est que la population ne voit rien venir. Pire, tous les experts et autres analystes en matière économique prédisent que l'année 2014 sera la plus difficile. C'est que la crise politique continue à paralyser le pays et à freiner l'investissement. La consommation ne se porte pas bien elle aussi, le coût de la vie et la valeur du dinar sont tels que l'on se contente du nécessaire. Les entreprises également peinent à tourner à plein régime. Les revendications sociales, les grèves et autres agitations affectent sérieusement la production des entreprises privées et étatiques et accablent l'administration qui tourne tant bien que mal... «La poursuite des évolutions enregistrées depuis plusieurs mois, aussi bien au niveau de la balance des payements qu'au niveau de l'inflation ou du taux de change, exerce des pressions accrues sur les secteurs de production et sur les équilibres financiers tant internes qu'externes, ce qui exige l'adoption des mesures urgentes nécessaires afin d'en circonscrire les effets d'une part, et d'accélérer le rythme des réformes structurelles, économiques, financières et institutionnelles indispensables, d'autre part», estime à cet effet la Banque centrale de Tunisie (BCT) dans le dernier rapport de son Conseil tenu, il y a un mois. Le poids des déficits Aujourd'hui, tous les indicateurs se dégradent sur fond de crise politique et sociale persistante sans parler de la note souveraine qui se dégrade davantage et surtout les ressources qui se font de plus en plus rares. Pourtant, le budget de 2014 prévoit une croissance de 4,5%, alors que pour la Banque mondiale (BM) , elle est estimée à 3%. Pour cette dernière, «la Tunisie paye le prix de l'interminable crise politique qui empêche l'installation d'institutions pérennes, de la montée des problèmes de sécurité relatifs au terrorisme, mais aussi des faiblesses de l'économie européenne». Elle relève aussi que «les investissements, les exportations et le tourisme ont baissé ou au mieux stagné», que la production stratégique de phosphates reste de faible niveau en raison de la multiplication des conflits sociaux et que l'agriculture a souffert des «mauvaises conditions météorologiques». Pour elle «l'affaiblissement des fondamentaux macroéconomiques en Tunisie inquiète de plus en plus. La vulnérabilité budgétaire s'est détériorée, les déficits extérieurs demeurent élevés et l'endettement public augmente». Sans parler du chômage qui, souligne-t-elle, restera élevé à court terme» étant donné que «la Tunisie aura besoin d'une croissance d'au moins 4,5% pour réduire le nombre de chômeurs». On rappelle qu'environ 15% de la population active est sans emploi, un taux qui dépasse les 30% chez les diplômés. Autres chiffres pour illustrer ce tableau globalement inquiétant : les pressions sur l'équilibre des paiements courants continuent, ce qui a porté le déficit courant à 7,1% du PIB au cours des onze premiers mois de 2013 contre 7,6% un an plus tôt, et ce, en relation avec la persistance du déficit commercial à un niveau élevé, avoisinant 958 millions de dinars (MD) par mois, en dépit d'une baisse de 1,5% enregistrée par rapport à la même période de 2012. En revanche, le recours à la mobilisation des ressources extérieures associe à l'amélioration des flux des investissements directs étrangers sur la période de 12,5%, a porté les avoirs nets en devises à près de 11.736 MD ou l'équivalent de 108 jours d'importation en date du 24 décembre 2013, contre 11.324 MD et 103 jours au terme du mois de septembre dernier. Le marché monétaire,pour sa part, a connu aussi, au cours du mois dernier, des tensions et c'est pourquoi la BCT a procédé à des opérations de refinancement quotidiennes sur ce marché qui ont atteint un volume global moyen de 4.793 MD, contre 4.537 MD au mois de novembre. Le taux d'inflation a culminé à 6,5% en mars 2013 et le déficit budgétaire se situerait à 7,2% du PIB fin 2013 contre 5,1% une année auparavant. Ainsi et comme l'a relevé la Banque mondiale dans sa dernière note, «à l'aube de 2014, la Tunisie est confrontée à des perspectives économiques difficiles», tout en reconnaissant que le potentiel et les atouts du pays sont incontestables. Pour elle, il ne s'agit pas de se contenter des modestes taux de croissance réalisés en 2012 et 2013. Une forte croissance s'impose pour éviter l'austérité et pour ce faire, il faudra engager des réformes profondes, notamment au niveau de la masse salariale et des subventions qu'il urge de rationaliser. «L'urgence d'adopter des réformes significatives ne saurait être plus aiguë, estime la BM. Dans un scénario positif, de réformes plus résolument engagées, de transition politique offrant une visibilité suffisante aux agents économiques et d'un environnement extérieur plus porteur, la croissance pourrait s'accélérer progressivement à l'horizon 2015- 2016 avec un impact positif croissant sur le marché de l'emploi». Du côté du Fonds monétaire international (FMI), c'est le même verdict, selon l'institution internationale «pour mieux faire face aux vulnérabilités plus importantes que connaît le pays, des actions immédiates et urgentes sont nécessaires pour maîtriser les déficits extérieurs et budgétaires, réduire les vulnérabilités du secteur bancaire et générer une croissance plus élevée et inclusive qui puisse absorber le chômage et réduire les disparités sociales et économiques». Des chantiers énormes, difficiles, mais nécessaires attendent donc le nouveau gouvernement qui doit prioritairement se doter d'une loi de finances rectificative pour pouvoir gérer le quotidien et en même temps entamer les premiers pas des réformes socioéconomiques profondes, à même de répondre dans quelques années aux objectifs de la révolution. (Sources: rapports Banque mondiale, BCT)