On la suspecte de rapprochement avec Ennahdha et ses dirigeants de transactions secrètes avec ce parti A peine le peuple tunisien commençait à retrouver peu à peu la confiance en l'avenir, en suivant les premiers pas du nouveau gouvernement, que les événements sanglants survenus à Jendouba viennent jeter une lumière crue sur une vérité difficile à admettre. Le terrorisme est parmi nous. Ses adeptes ne sont pas le moins du monde concernés par notre supposé consensus national. Leurs priorités sont ailleurs. Les attentats de Jendouba au-delà de leur caractère violent et leur portée viennent, donc, perturber un équilibre fragile que la société tunisienne s'efforçait de trouver. La première question qui vient à l'esprit, était-il judicieux d'engager des pourparlers avec la Troika, essentiellement avec Ennahdha, sans obtenir de véritables engagements fermes sur le dossier sécuritaire ? Du coup, l'Ugtt, fer de lance du dialogue, se trouve au cœur d'une tourmente qui met en cause non seulement son rôle dans les négociations, mais l'organisation en tant que telle. On la suspecte de rapprochements avec Ennahdha, et à ses dirigeants des transactions secrètes avec ceux de ce parti. Les accusations de trahison n'étaient pas en reste, l'histoire de la centrale était invoquée pour preuve. Qu'en est-il au juste, l'Ugtt pouvait-elle faire mieux ? Avait-elle seulement le choix ? Deux avis contradictoires sur la question. Contre tout retour du passé Sollicité, Sami Tahri, porte-parole de l'Union générale tunisienne du travail déclare à La Presse que «l'Ugtt ne se rapproche ni du parti Ennahdha, ni de la gauche, ni de l'opposition, ni de Nida Tounès, comme l'accuse Ennahdha, d'ailleurs. Pire : nous sommes accusés d'être les caciques de l'ancien régime. Mais je dois dire que les gens qui accusent l'Ugtt ne connaissent pas l'histoire, parce que l'accusation de rapprochement avec la Libye contre les intérêts tunisiens, par exemple, est une vieille accusation, formulée ainsi : « Intelligence avec des services étrangers », lancée par l'ancien régime. C'était une tentative vaine pour liquider la Centrale et le parcours syndical national avec. Mais encore une fois, c'est une instrumentalisation de l'histoire. L'Ugtt a été depuis sa naissance en 1946 en conflit ouvert avec le pouvoir quel qu'il soit. Depuis le pouvoir colonial, le pouvoir de Bourguiba qui avait tendance à considérer l'Ugtt comme une organisation nationale, et de Ben Ali après lui. Depuis que le mouvement Ennahdha a pris le pouvoir, «l'itihad» a été la cible d'attaques verbales et physiques violentes. Les événements du 4 décembre n'avaient pas été les premiers. Béji Caïd Essebsi, de son côté, n'a jamais raté une occasion, alors Premier ministre, pour attaquer de manière indirecte l'Ugtt. Ce sont des données historiques vérifiables. Quant au rôle de l'Ugtt dans le dialogue national et son aboutissement, nous avons la conviction, les rapports sécuritaires sont là pour le prouver, que le pays était face à deux choix possibles : ou bien une guerre civile, ou bien sortir de la crise avec le minimum de dégâts. L'Union a pesé le pour et le contre. Il fallait pousser la Troïka, particulièrement Ennahdha, à renoncer au pouvoir. Il ne faut pas perdre de vue que c'est un gouvernement élu qui quitter le pouvoir. Dans ce cas, il fallait négocier un départ associé à quelques concessions, c'est inévitable. Les négociations, pour rappel, ont été difficiles et ont duré à peu près quatre mois. Ennahdha ne voulait pas partir. Maintenant, si on évalue les résultats, qui a gagné le plus et perdu le moins ? Ennahdha qui avait entre ses mains, l'exécutif, les finances publiques, le législatif, en un mot, le pouvoir ou bien le peuple ? Il y a malgré tout un début de détente ressenti dès la prise de pouvoir du gouvernement de Mehdi Jomaâ. Il faut tenir compte des rapports de force. Nous sommes donc satisfaits de l'aboutissement et nous prions pour qu'il n'y ait pas de catastrophes, pour que les gens réalisent ce que nous avons fait éviter au pays. D'ailleurs, les événements de Jendouba ne sont qu'un signe infime. Cela aurait pu être multiplié par 100. L'Ugtt est fière d'avoir sauvé le pays et si cette action de sauvetage a contribué au maintien de certains postes politiques, et du ministre de l'Intérieur, précisément, qui était dans l'ancien gouvernement, soit. Ennahdha a perdu le pouvoir, mais voulait le quitter avec le minimum de dégâts. Nous avons été contre Ennahdha et nous continuons à l'être si le parti agit contre les intérêts du pays. L'Ugtt ne peut s'entendre avec Ennahdha ni dans ses choix économiques ultralibéraux ni son modèle de société. Nous sommes pour un Etat démocratique, socialiste, qui tienne compte de l'équilibre régional, moderne, progressiste, respectueux des valeurs universelles. Nous serons toujours contre tout retour du passé, comme au temps de Ben Ali, faire du pays un marché offert à la surenchère, ou encore un retour au «Salaf» aussi «salah» soit-il, parce que c'est une négation de l'évolution humaine». Ouvrir une nouvelle page avec un contentieux de sang ! Sollicitée par La Presse, Olfa Youssef, écrivaine et universitaire, répond : «Je respecte l'Ugtt, ses femmes et ses hommes, mais je dirai, sans avoir de preuves, que des rapprochements auraient pu avoir lieu entre Ennahdha et l'Ugtt, cela ne m'étonne pas, puisqu'il y a eu des rapprochements entre Ennahdha et plusieurs partis de l'opposition. Donc je n'exclus pas la possibilité sans avoir la moindre preuve, toujours. Mais je n'irai pas jusqu'à accuser l'Ugtt de trahison préméditée. Je persiste à dire, cependant, que le dialogue national n'a pas été un bon choix, et à ce jour, il ne donne aucune solution. Le terrorisme continue de sévir. Pour ma part, je fais partie des gens qu'on considère comme extrémistes. Ceux qui croient que tout parti ayant des soubassements religieux n'a pas lieu d'exister. Partout dans le monde où il y a eu un parti à référentiel religieux, ou qui se présente comme tel, il y a eu tout de suite des violences et du sang. C'est ce qu'on vit en Tunisie. Bien entendu, je ne parle pas de connotation culturelle de la religion, Nida Tounès par exemple possède un arrière-fond islamique. Nous ne sommes pas des chrétiens. Mais les événements prouvent la non-pertinence du choix du dialogue. Et si on vous disait que les événements de Jendouba sont un moindre mal par rapport à ce qui aurait pu se passer, je dis que ce n'est pas vrai ! Il n'a jamais été question de guerre civile. En revanche, il y a du terrorisme face à des citoyens non armés. Soyons clairs, il n'y a jamais eu un laïc, un penseur ou un homme politique, non affilié à un parti religieux, qui soit passé à la violence. C'est un leurre. Des conflits, oui, mais pas de guerre civile. Par contre, ce que j'ai dit et je ne suis pas la seule voix à le dire, c'est que la case violence est inévitable pour la Tunisie. Il y aura du sang et encore du sang. On nous a dit qu'avec le dialogue, tout cela va cesser. J'aurais bien aimé y croire, si j'avais vu des gestes forts du gouvernement. Sami Tahri en personne a publié dans sa page une liste de points sur le mode opératoire à adopter pour combattre le terrorisme. Or, rien de cela n'a été fait. Même le voile intégral est soumis seulement à un contrôle alors que dans une situation pareille, il aurait dû être interdit. Les appels violents aux assassinats se poursuivent dans les mosquées. J'écoute les prêches du vendredi dans la mosquée à côté de chez moi, le Takfir et accusations de toutes sortes n'ont pas cessé. Jusqu'à la date butoir, c'est-à-dire trois mois après la prise du pouvoir, je me demande combien de Tunisiens vont encore mourir. Dès qu'il y a du sang, c'est connu dans l'histoire, on ne peut pas passer au dialogue, tourner la page comme si de rien n'était. C'est impossible d'ouvrir une nouvelle page alors qu'il y a un contentieux de sang. L'histoire des religions le prouve. Même de façon anecdotique, celui qui a déclaré qu'au Mont Chaâmbi ils font du sport, n'a pas été inquiété. Normalement dans un gouvernement qui se respecte, il aurait fallu qu'il fasse l'objet d'une instruction, même chose pour les imams qui ont appelé nominativement aux meurtres contre feu Chokri Belaïd par exemple. Je vous promets, espérons que je me trompe, qu'il y aura encore beaucoup de sang qui coulera en Tunisie, à cause justement du choix du dialogue national qui ne va nous mener nulle part. Et, prétendre que le terrorisme existe partout dans le monde est un leurre et un non-sens. Le terrorisme n'existait pas en Tunisie. Indépendamment du régime qui était bon ou mauvais. Les gens sortaient le soir, il y avait de la sécurité, or maintenant on connait la situation, moi, comme beaucoup d'autres, je suis sous garde rapprochée depuis six mois. Le jour où le gouvernement jugera les coupables, je dirai que le dialogue national a abouti. Faute de quoi, je tiens pour responsable le dialogue national, et derrière le quartet qui n'a pas su gérer la situation. En politique, il y a une obligation de résultat. Ce nouveau gouvernement ne fait rien ou très peu par rapport à deux choses : éradiquer le terrorisme d'une part et mettre au jour les responsables de l'enracinement de ce fléau de ces deux dernières années, d'autre part. Tant que les dossiers n'ont pas été ouverts, je contesterai le choix du dialogue national».