Les Américains semblent avoir tiré la conclusion des attaques meurtrières du consulat américain à Benghazi et de l'ambassade américaine à Tunis. Ils tournent le dos aux islamistes dont ils avaient applaudi l'avènement au lendemain du sacre plus ou moins factice dudit Printemps arabe L'invitation de Mehdi Jomâa par le président américain Barak Obama n'est guère fortuite. Et pour plusieurs raisons. En premier lieu, cet insigne honneur — si tant est qu'il s'agisse d'un honneur — n'a guère touché le président Moncef Marzouki et encore moins Hamadi Jebali et Ali Laârayedh, chefs de gouvernement respectifs des deux gouvernements de la défunte Troïka. Par ailleurs, les invitations américaines ne se font guère sur des coups de cœur ou au gré des humeurs du président. C'est l'institution qui invite et non point l'homme. Soyons clairs. Mehdi Jomâa chapeaute un gouvernement technicien de technocrates. Et les Américains invitent en général des politiques. Et l'invitation a été annoncée par le chef de la diplomatie américaine, John Kerry, qui était dans nos murs la semaine dernière. En somme, quelque chose se trame dans l'ombre. Les informations faisant état de mise à niveau d'hôpitaux dans l'extrême Sud tunisien par les Américains est à prendre en considération. Idem de la nomination de militaires à la tête des gouvernorats frontaliers du Sud. Sans oublier la remise en branle de l'aéroport de Gafsa, dans le Sud-Ouest, à quelques encablures de l'aéroport international de Tozeur. Autant de faits qui créent une espèce de faisceau d'indices. Et ce dernier instruit que les Américains semblent intéressés par une présence et des prestations de services multiformes dans le Sud tunisien. Et ce, pour plusieurs raisons : d'abord, faire contrepoids à l'Egypte du général Al-Sissi soucieuse d'aider à brève échéance le camp de la dissidence en Libye, livrée pieds et mains liés à l'Otan — et aux milices terroristes — depuis le renversement du régime de Kadhafi. Ensuite, servir de sanctuaire pour le redéploiement stratégique américain dans les pays du Sahel et aux abords du Sahara. Et puis, les faits favorisent par moments la théorie de la durée du gouvernement Jomâa. Il serait appelé à perdurer bien au-delà des délais impartis par la feuille de route pour la sortie de crise. Soit environ une année. Les Américains, on ne le sait que trop, ont toujours deux fers au feu. At least. Et leurs calculs à moyen terme se donnent les moyens de leur politique. Auquel cas, Mehdi Jomâa proprement dit se découvrirait des vertus, voire une étoffe et une carrière, d'homme politique. La politique est l'art du possible. Et du travestissement des faits. Davantage le travestissement que l'adaptation. Les grands desseins politiques, particulièrement impériaux, sont rarement énoncés. Tout au plus sont-ils édulcorés pour la galerie. Et annoncés pour le cercle d'initiés en termes codés. Dans la conférence de presse tenue au terme de sa visite-éclair à Tunis, John Kerry en a administré la preuve. Il a effleuré à mots feutrés la question du soutien américain aux opérations antiterroristes tunisiennes. Soit une confirmation à demi-mots de ce que d'aucuns chuchotent tout bas. L'annonce tonitruante des aides militaires américaines à la Tunisie s'inscrit dans cette optique. Les Américains n'ont guère la mémoire courte. Ils ont aussi une capacité inouïe à changer le fusil d'épaule. Ils appellent cela pragmatisme. Soit une variante, feutrée elle aussi, de l'opportunisme. A cet égard, ils semblent avoir tiré la conclusion depuis quelque temps déjà des attaques meurtrières du consulat américain à Benghazi et de l'ambassade américaine à Tunis. Ils tournent le dos aux islamistes dont ils avaient applaudi l'avènement au lendemain du sacre plus ou moins factice dudit Printemps arabe. Certains d'entre eux n'ont accédé au pouvoir que moyennant l'appui des Américains et de leurs satellites, Arabie Saoudite et Qatar en prime. Aujourd'hui, ici et maintenant, les Américains soumettent leurs alliances au titre des comptes pertes et profits. Ils adoptent volontiers l'approche du général Charles de Gaulle qui disait que la France n'a pas d'amis mais des intérêts. Ils révisent leur position à l'aune de leurs intérêts géostratégiques. En Syrie, ils se retrouvent main dans la main avec Al Qaïda et les nébuleuses terroristes extrémistes. Ils ont contribué à livrer la Libye aux milices terroristes. Leurs relations avec l'Egypte ne sont guère au beau fixe, toujours à cause de leur engagement avec les Frères musulmans. Leur image est profondément écornée auprès des larges masses arabes et musulmanes. La fixation de l'intérêt américain subit pour Mehdi Jomâa et consorts découle d'une espèce de coup de cœur géostratégique. Cela fait le délice des uns et le régal des autres. Bien évidemment. Parce que les Américains, eux aussi, n'ont pas d'amis mais des intérêts.