Par Pr Mustapha ATTIA L'écrivain Portugais José Saramago, (prix Nobel de littérature 1998) est mort le vendredi 18 juin 2010 sur l'île de Lanzarote (Canaries). Le silence de la scène littéraire arabe est total, magistralement brisé par notre ami, le poète Adam Fathi qui a consacré au grand disparu un hommage lumineux et débordé d'«inquiétude», dans un quotidien de la place. «J'écris pour une espèce de lecteurs, je les appelle les «inquiets». Les gens qui sont troublés par la vie, par les choses, ce sont mes lecteurs». José Saramago, a priori, on l'adore ou on le méprise à l'extrême. On le dit anachronique, il est inclassable. Sinon énigmatique, du moins volontairement discret, c'est plus un nomade qu'un voyageur. Son aventure, ce sont les mots. L'attribution d'un prix Nobel semble autant enterrer un auteur que couronner une oeuvre. Avec Saramago, il en va autrement. Rien ne fera taire le grinçant, le turbulent écrivain. Après son roman choc «L'évangile selon Jésus-Christ», qui a fait scandale à tel point que le gouvernement portugais le censure, il écrit «L'aveuglement», «Tous les noms», «La caverne». Et à tous ceux qui lui reprochent de s'essouffler et de ne plus donner que des «fonds de tiroir», il écrit « L'autre comme moi», un roman qui s'inscrit dans une thématique qui lui est chère depuis la publication de «Dieu manchot» en 1982. «Ce n'est pas vis-à-vis des autres qu'on feint, c'est toujours vis-à-vis de soi-même». Il a bouleversé ses contemporains avec son style fluide, chatoyant, musical, son intelligence aiguë, ses écrits polémiques qui, parfois ont suscité le scandale, tant il a radicalement mis en question notre époque, son raffut, ses slogans vides. Mais tout cela serait peut-être une banalité s'il n'était surtout un admirable observateur sociologique, qui mêle à la fois ironie, rigueur et honnêteté. Il dénonce les illusions de notre époque et oppose une exigence intérieure à la cacophonie du monde actuel. Dans presque tous ses romans, les sociétés humaines conjuguent la mémoire du passé et du présent et l'anticipation du futur. Son message c'est que l'univers est absurde. Ce sentiment d'absurdité est naturel dans un univers où l'homme serait détaché de la nature qui l'entoure. Il faut lutter contre les tendances et montrer qu'il existe une certaine rationalité, mais celle-ci comprend l'incertain et la flèche du temps. «C'est une espèce de maladie incurable que je porte, qui s'appelle lucidité, parce que je ne vois aucune raison pour être optimiste dans le monde où nous sommes. Aucune raison». José Saramago était dans toutes les batailles justes, il a pris le côté de la Palestine et les Palestiniens, dont la persécution est comparée à l'«holocaute». A Gaza il a été scandalisé par la situation dramatique d'une population claquemurée dans des sortes de bantoustans, confrontée quotidiennement à des colons et des soldats qui confondent la Torah et le cadastre, déçue par un processus de paix qui se transforme en blocus. «Devant ces check-points où se presse à l'aube un bétail humain infiniment patient, infiniment soumis malgré l'exaspération, j'ai eu honte», témoigne Régis Debray dans son livre «A un ami Israélien». L'histoire en général n'est pas un long fleuve tranquille. Mais celle de la Palestine est particulièrement tourmentée, faite de passion, de haine, de sang et de larmes. A Gaza, José Saramago a constaté, comme Régis Debray d'ailleurs, que la terreur n'aspire pas à convaincre mais à dominer, à subjuguer. Le but de l'oppression est de tuer en chaque Palestinien et Palestinienne le goût du rêve et celui de la liberté, le plus beau, le plus exalté des rêves. Il a crié, de sa voix de tragédien, au scandale. Sans doute n'y a-t-il pas de vrai littérature sans un mouvement de colère contre l'injustice et l'oppression, ou un ricanement de dérision. Plus que jamais José Saramago, submerge et roule dans les vagues de sa prose le destin collectif de l'humanité. Il réussit une oeuvre vibrante, par son style épique, brutal et émouvant, ponctué de mémorables envolées tragiques.