Hassine Abbassi et son équipe à la place M'hamed-Ali sont mis à rude épreuve face à ceux qui tentent de les supplanter L'Ugtt est-elle en train de récolter, à ses dépens, les dividendes de sa réussite à faire sortir le pays du chaos et de l'inconnu qui le menaçaient et d'être parvenue, grâce au Dialogue national, à la formation du gouvernement de compétences indépendantes, dirigé aujourd'hui par Mehdi Jomâa ? En plus clair, en se consacrant, durant près de sept mois, à la gestion du Dialogue national, Hassine Abbassi et les membres du bureau exécutif de la centrale syndicale ont-ils perdu le contrôle d'une partie de la base syndicale, en particulier dans les régions, au point que les appels qu'ils lancent depuis pratiquement une semaine aux agents des finances en vue de reprendre le travail sont restés jusqu'ici sans suite ? Ces deux interrogations s'imposent d'elles-mêmes, dans la mesure où la situation syndicale reste toujours confuse, en dépit des déclarations des hauts responsables de l'Ugtt, soulignant, pas plus tard que jeudi dernier, que le dialogue avec le gouvernement est enfin de retour et que la commission commune gouvernement-Ugtt, dite commission 7+7, a été réactivée et qu'elle se penchera, jeudi prochain, lors de sa prochaine réunion, sur les questions en suspens, dont en premier le démarrage des négociations avec le gouvernement sur l'augmentation du Smig, en attendant que les pourparlers touchent la fonction et le secteur publics. L'urgence du respect de la continuité de l'Etat «Je ne partage pas l'analyse de ceux qui estiment que l'Ugtt a négligé l'action syndicale en se consacrant entièrement au Dialogue national. Au contraire, dans les autres secteurs, nous avons poursuivi nos revendications parallèlement à l'opération politique qui s'est soldée par la formation du gouvernement Jomâa. Malheureusement, en quittant le pouvoir, Ennahdha a recouru à certains courants syndicaux connus pour être acquis à ses choix et à sa politique et réputés pour leur opposition à la direction actuelle de l'Ugtt. Leurs objectifs sont clairs : convaincre l'opinion publique que les gouvernements de la Troïka I et II n'ont pas échoué et que le gouvernement Jomâa, fruit du Dialogue national, n'ira pas loin», précise Hassine Boujarra, secrétaire général du Syndicat général de l'enseignement supérieur et membre de la Commission administrative nationale. «Leurs attaques à l'encontre de l'Ugtt, épine dorsale du Dialogue national, se poursuivent de plus belle et ils font tout afin de faire échouer l'accalmie sur laquelle le gouvernement et l'Ugtt semblent se mettre d'accord», ajoute-t-il. Boujarra reconnaît, tout de même, qu'il «existe des facteurs objectifs derrière la tension régnant actuellement dans certaines régions et dans certains secteurs, à l'instar de celui des finances dont les agents maintiennent toujours leur mouvement de contestation». «Toutefois, conclut-il, il est impératif que le gouvernement Jomâa veille à la continuité de l'Etat en respectant les accords déjà conclus avec les gouvernements précédents. Au sein de l'Ugtt, nous sommes conscients des sacrifices à consentir pour sortir la Tunisie de l'ornière. Seulement, la facture doit être payée par tout le monde». La difficile équation «L'Ugtt n'a pas encore perdu le contrôle de ses bases. Mais il existe des prémices annonçant que la centrale syndicale est en train de battre en retraite sur le plan syndical. Elle se trouve, aujourd'hui, après son implication dans la réussite du Dialogue national, dans une situation fortement délicate. L'équation est difficile à résoudre : comment faire réussir l'accalmie sociale tout en continuant à satisfaire les revendications de ses bases», relève Abderrazek Hammami, ancien syndicaliste de l'enseignement secondaire et président du Parti du travail patriotique et démocratique (Ptpd). «De nos jours, la situation est exceptionnelle et il n'est plus question que les problèmes soient résolus en recourant aux anciens critères. Les partis politiques et les syndicats sont invités à imaginer une nouvelle approche de traitement des problèmes», fait-il remarquer. Comment évalue-t-il la pluralité syndicale qui a émergé à la faveur de la révolution ? Abderrazak Hammami est on ne peut plus clair sur cette question : «Le plurisyndicalisme actuel n'est pas la résultante d'un véritable combat militant. Il constitue, plutôt, une forme de manœuvre politique dont les syndicalistes ont payé le lourd tribut déjà à l'époque de Bourguiba. Et il faut que les gens sachent que les symboles de cette pluralité syndicale sont la continuité des anciennes tentatives de noyautage de l'Ugtt». L'Ugtt consciente des défis «Personne n'est en mesure aujourd'hui de prétendre que la solution de la crise politique pouvait être atteinte sans l'apport décisif de l'Ugtt, considérée comme l'épine dorsale du Dialogue national. Malheureusement, ceux parmi les syndicalistes qui étaient contre le fait que l'Ugtt consacre des mois à faire raisonner les gouvernements de la Troïka I et II, d'une part, et les partis de l'opposition, d'autre part, tirent maintenant la couverture de leur côté. Seulement, il ne faut pas oublier que Abbassi et ses camarades ont toujours été conscients des dossiers brûlants qui les attendaient, dont en premier la restructuration de l'Ugtt», commente Lazhar Baly, président du parti El Amen. «Certains partis politiques ont sauté sur l'occasion pour combler le vide dont souffrait à un certain moment la vie syndicale et ont encouragé la création d'organisations syndicales qui leur sont totalement inféodées, à l'instar de l'Organisation tunisienne du travail, connue pour être la création d'Ennahdha», poursuit-il. Le résultat est là : «Le secteur des finances n'écoute plus l'Ugtt. Et l'on est menacé de voir le pays sombrer dans la guerre des syndicats. A mon sens, seuls le dialogue et le consensus sont à même de nous éviter le chaos syndical. Le dialogue doit englober également les petits syndicats qui peuvent devenir grands à n'importe quel moment», conclut-il.