Faute de communication, le mois du tapis n'a pas donné ses fruits. L'Office national de l'artisanat (ONA ) organise, depuis le 1er mars, une manifestation de promotion du tapis et des tissages ras. L'exposition-vente intitulée «Le mois du tapis et des tissages ras», qui se poursuit jusqu'au 31 mars, vient en réponse à la demande des professionnels de ce secteur. Plus de 20 producteurs de tapis artisanaux exposent leurs produits à la fois authentiques et revisités, et ce, aux quatre galeries de l'ONA, notamment à El Omrane, Nabeul, Mahdia et Gabès. Parallèlement, une vingtaine de magasins privés recourent, tout comme dans les galeries précitées, à des remises de 20%. Cependant, et contrairement à leurs attentes, les producteurs de tapis se sont heurtés à une réalité amère : faute de communication, cette action n'a pas donné les fruits escomptés. De rares visiteurs, guidés par le simple hasard, ne font, souvent, qu'admirer les tapis, frustrant ainsi les exposants. A la galerie El Omrane, et hormis une banderole chapeautant la porte d'entrée, rien ne dénote une exposition-vente digne de ce nom. Pour attirer un tant soit peu les curieux, certains ont préféré déposer quelques margoum sur l'enceinte de l'établissement. Après plus de trois semaines d'exposition, les producteurs de tapis et des tissages ras continuent à se regarder en chiens de faïences. M. Faouzi Aoun représente le margoum de Ouled Bousaâd à Gafsa. Au bout de trois semaines de patience et d'espoir, il n'a réussi à ventre que quatre ou cinq articles tout au plus. Pourtant, il fait de son mieux pour séduire la clientèle locale, en lui proposant des tissages à la mode tout en étant inspiré du patrimoine. «Ma production est essentiellement basée sur le margoum de Sidi Saâd. Ce produit est plus que particulier, dans la mesure où il donne au client la possibilité de voyager à travers l'histoire de cette région unique au monde et de découvrir les spécificités de la nature sudiste. Les artisanes usent des motifs traditionnels berbères, comme le mchot ( le peigne ), l'aïn dite également tastira, el richa ( la plume ), lahnach (zigzag d'un serpent ), etc. pour fabriquer le margoum et le bakhnoug», explique Faouzi. Un peu plus loin se trouve le stand de Mme Aziza Sallaoui, productrice de tapis, issue de Kairouan. Elle excelle dans la fabrication du tapis kairouanais, avec son fameux mehrab ( autel ) , ses points spécifiques ( 20x20 ; 30x30 ou encore 40x40 ) et son motif yasmina, à la fois ancestral et coquet. L'authenticité de ces produits artisanaux est désormais assortie avec la décoration intérieure des Tunisiens modernes, et ce, grâce au recours à des couleurs très tendance, comme le couple noir et blanc, le gris et le blanc, le gris et le beige, le gris et le rose pâle, deux tons de vert assortis, etc. «Le margoum traditionnel, souligne Faouzi, est multicolore avec un fond rouge bordeaux. Aujourd'hui, ces couleurs se limitent à deux et sont nettement plus assorties. Nous avons également introduit la couleur rouge tomate, qui ne tardera pas à entrer en vogue lors des prochaines saisons». M. Abdelwahab Souï est un autre producteur de tapis, originaire de Ouled Bou Saâd. Fier de ses origines et des ses tapis, il étale majestueusement les bakhnoug et les margoum d'antan et ceux de nos jours. Regrettant le savoir-faire des artisanes seniors, il montre la différence frappante entre un margoum moderne, nettement moins chargé, et un autre, typique, fort élaboré, fabriqué par des ouvrières âgées. Manifestement, le recours à des tissages simplifiés constitue à la fois un choix et une obligation : «Les artisanes se compent sur les doigts de la main. La plupart d'entre elles préfèrent fabriquer et vendre seules leurs tapis. Les autres n'acceptent plus des commandes trop chargées», indique Abdelwahab. Et d'ajouter, inquiet, que le secteur des tapis et des tissages ras est en pleine crise : une main-d'œuvre de plus en plus rare, des matières premières aux prix salés. «La laine coûte entre 7 et 10dt le kilo. Il y a à peine un an, elle ne coûtait que 5dt le kilo», note-t-il. Par ailleurs, l'absence de stratégie de promotion du tapis traditionnel, la crise du secteur du tourisme, qui permettait l'exportation indirecte du tapis tunisien, et la réticence de la clientèle tunisienne désormais séduite par des produits chinois bas de gamme, enfoncent davantage le clou. L'inquiétude et la déception sont partagées par tous les exposants. Mme Aziza se désole de son incapacité à liquider sa marchandise. Pour elle, l'essor de son entreprise et le gagne-pain de près de 200 artisanes se trouvent menacés, faute de stratégie à même de booster ce secteur. «C'est à l'office de nous aider à vendre nos tapis, dynamiser le secteur et préserver la main-d'œuvre. Nous avons besoin de solutions salvatrices, susceptibles de sauver cette spécialité à court, moyen et long termes», souligne-t-elle.