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Le terrorisme en Tunisie : des facteurs internes aux manipulations
Opinions
Publié dans La Presse de Tunisie le 26 - 03 - 2014

La montée en puissance du terrorisme islamiste en Tunisie place le pays dans un périmètre de ciblage préoccupant
Par Mehdi TAJE*
En l'occurrence, c'est à travers le système de crises (sécuritaire, politique, économique et sociale) usant l'Etat et le corps social tunisien et les profonds bouleversements géopolitiques restructurant le voisinage tunisien (Libye, Algérie et profondeur sahélienne) que doit être analysée la montée en puissance du terrorisme menaçant la sécurité nationale tunisienne et hypothéquant la transition démocratique du pays. Dans ce contexte, qu'en est-il de la menace terroriste, entre réalité et manipulation ?
Le terrorisme islamiste semble combiner une part d'authentique et une part de manipulation par des services étatiques et des sources obscures poursuivant un agenda loin de toute foi islamique. La Tunisie n'échappe pas à cette réalité.
Les facteurs internes
Divers facteurs structurant la scène tunisienne post-révolutionnaire s'avèrent favorables à un enracinement d'éléments jihadistes ayant recours au terrorisme :
Le net affaiblissement de l'Etat traversant une crise structurelle usant ses capacités de résistance et de lutte ;
La dispersion des moyens et l'absence de stratégie cohérente et globale de lutte contre le terrorisme fédérant les moyens sécuritaires mais également économiques et sociaux afin de mettre en avant le concept de sécurité globale et humaine.
L'affaiblissement de l'appareil sécuritaire tunisien, notamment quant à la dimension renseignement et anticipation, pierre angulaire de toute stratégie efficace de lutte contre le terrorisme (absence de centralisation du renseignement stratégique : détection et neutralisation de la menace, d'organes d'exécution sûrs (non infiltrés) et efficaces (mobilisables rapidement et travaillant de manière coordonnée).
La dégradation de la situation économique et sociale amplifiant les capacités des groupes terroristes en termes d'endoctrinement et de recrutement ;
La pauvreté et la croissance du chômage touchant principalement les jeunes (absence de perspectives d'avenir).
La corruption et la montée en puissance des trafics illégaux et de l'économie informelle offrant un levier de financement aux groupes terroristes. Plus globalement, nous assistons à une infiltration progressive du crime organisé transnational, limité à ce stade à un état embryonnaire du fait de la sauvegarde, en dépit de la crise, de certaines capacités de résistance de l'Etat tunisien (administration, société civile, etc.).
Les ambiguïtés relativement à la législation applicable : frilosité du ministère de la Justice quant à une application rigoureuse de la législation antiterroriste dans le cadre du respect des droits de l'Homme.
La montée de l'extrémisme religieux et du salafisme prenant le contrôle de centaines de mosquées, amplifiant les capacités d'endoctrinement et de recrutement. Le Premier ministre Mehdi Jemâa, lors de son discours télévisé du 3 mars 2014, a évalué leur nombre à 149.
L'affaiblissement de la coopération avec des partenaires clés à l'échelle régionale et internationale du fait d'une relative détérioration de la confiance.
En dépit de la prudence inhérente à toute gestion de phase transitoire, laxisme, voire complicités remontant au plus haut niveau de l'Etat prêtant à interrogations alors que la situation exige fermeté en conformité avec les lois de la République à l'égard de toute organisation basculant dans la violence armée aveugle : ambiguïté quant à une réelle volonté politique de la Troïka relativement à la lutte contre le terrorisme hypothéquant l'avenir du pays.
Le gouvernement Mehdi Jomâa semble vouloir marquer une rupture et un durcissement à l'égard de la sphère salafiste et jihadiste. L'intention est louable, encore faut-il en avoir les moyens et la possibilité, tant les obstacles sont nombreux : affaiblissement et infiltration de l'appareil sécuritaire, grave détérioration de la situation économique et sociale offrant peu de perspectives d'embellissement à court terme, notamment relativement au chômage des jeunes, absence de stratégie cohérente et globale de lutte contre le terrorisme, environnement géopolitique chargé de menaces, duplicité de certains radicaux au sein du mouvement Ennahdha et de ses divers satellites instrumentalisant la violence islamiste au gré des vissicitudes de la vie politique tunisienne afin d'entretenir un climat de tensions en vue de peser sur les futures élections, etc. constituent de sérieux défis qu'il conviendra de surmonter. Cette stratégie est caractéristique du fonctionnement de la confrérie des Frères musulmans et a rencontré un soutien déterminant auprès des Etats-Unis et de certains pays européens.
Les visées géopolitiques occidentales
Plus globalement, il est clair que les mouvements islamiques qui se sont approprié les révolutions arabes ont bénéficié du soutien de certaines puissances européennes et des Etats-Unis. Que dissimule cette alliance qui ne dit pas son nom ? Le pragmatisme et la realpolitik semblent avoir pris le dessus sur les vertus de la démocratie et de la bonne gouvernance. N'en est-il pas de même à travers le soutien apporté par les Occidentaux à des mouvements ouvertement fascistes ou néonazis en Ukraine, l'objectif étant de reproduire le scénario de la révolution orange de 2004 afin de repousser l'ours russe dans ses frontières du XVIIe siècle et d'«otaniser» sa périphérie ou son étranger proche ? En effet, l'Afghanistan, l'Irak, la Somalie, etc. ont révélé l'incapacité des puissances occidentales à neutraliser les islamistes par la force : sur tous ces fronts, les troupes occidentales se sont repliées sur un compromis de façade. L'islam politique est enraciné et bénéficie du soutien d'une large base sociale et culturelle. Prenant acte de cet état de fait, l'Occident, à la faveur des révolutions arabes, apporte un soutien discret aux islamistes dits modérés dans l'objectif de neutraliser les plus extrémistes (l'écume hostile) en plaçant ces groupes face aux responsabilités de la gestion politique, économique, sociale et sécuritaire de leurs propres sociétés : telle est la parade globale à l'islam politique visant l'ensemble de la sphère de l'Islam. Conformément à cette logique, l'exercice du pouvoir politique confrontant ces groupes aux difficultés d'ordre économique, social et culturel (société civile) constituera un facteur déterminant de responsabilisation induisant le sens de la mesure et de l'autorégulation et l'élimination des plus radicaux. Parallèlement, cette stratégie obéit à des calculs géopolitiques d'envergure mondiale. Face à la percée de puissances rivales menaçant l'hégémonie américaine, il incombe pour l'Etat profond américain d'être en mesure de fragmenter le monde musulman selon des lignes religieuses et communautaires afin d'entretenir une zone d'instabilité durable sur le flanc sud de la Russie et de menacer la sécurité des approvisionnements énergétique de la Chine. De plus, via un soutien à peine voilé apporté aux séparatismes travaillant les périphéries de ces puissances majoritairement musulmanes (Caucase et Tchétchénie pour la Russie, Xinjiang pour la Chine), l'instrumentalisation de l'islamisme radical vise clairement à affaiblir ces acteurs menaçant le projet unipolaire américain.
En effet, dès le milieu de la décennie 2000, des chercheurs néoconservateurs des deux côtés de l'Atlantique recommandent de confier l'encadrement et la gestion des sociétés musulmanes à la confrérie des Frères musulmans. « Ceux-ci seraient des sortes de démocrates-chrétiens à la sauce musulmane, aimablement conservateurs et néolibéraux, acquis à l'économie de marché mondialisée et susceptibles de constituer un utile rempart contre les dérives violentes du salafisme. C'est évidemment ignorer ou dissimuler le fait que tous les ténors de la violence jihadiste sont issus de la confrérie dont ils constituent de fait le bras armé. Cela n'empêche pas l'Administration américaine, le Département d'Etat, le Pentagone et les services de sécurité américains, ainsi que nombre de correspondants européens au sein des instances de Bruxelles, d'adopter ce concept et d'en tirer leurs lignes de conduite lors des printemps arabes de 2011 ».
L'erreur d'appréciation, les impératifs géopolitiques de la Gwot américaine, la volonté de simplification et de schématisation de nombreux experts et journalistes contribuant à dénaturer la menace terroriste ont abouti à cette stratégie qui aujourd'hui trouve ses limites. En effet, « habiles, par l'utilisation des fonds alloués par les théocraties pétrolières, à occuper de façon démagogique les créneaux sociaux et sanitaires abandonnés par les pouvoirs autoritaires, les islamistes politiques le sont beaucoup moins à contrôler et gérer des Etats en difficulté. Les manquements à leurs engagements et obligations, leur incurie et la rapacité de leur gestion suscitent l'exaspération et la réaction des peuples en Egypte, en Tunisie et en Libye. Les débordements de violence des bandes salafistes provoquent la résistance des minorités en Syrie, en Irak, au Yémen et jusqu'au Pakistan. Moins de dix-huit mois après son instauration, «l'ordre islamique» prôné par les néoconservateurs occidentaux et soutenu par les pétromonarchies est au bord de l'implosion».
Pour autant, le « Grand jeu » est loin d'être achevé dans le contexte d'une exacerbation des rivalités à l'échelle planétaire. Les Frères musulmans ne sont pas résolus à abandonner facilement un pouvoir politique qu'ils convoitent depuis les années 1940. Conformément à leur idéologie et à leur doctrine, ils répondront certainement à la contestation par la violence. Non pas à l'instar des régimes dictatoriaux s'appuyant sur l'armée et une redoutable police politique, instruments régaliens de la violence institutionnelle. Comme le souligne Alain Chouet, «ils y répondront à leur manière par les assassinats politiques comme en Tunisie, par les lynchages et les viols comme en Egypte, par les règlements de comptes sanglants comme en Libye, par les voitures piégées comme en Irak. Autant d'actions subversives et d'entretien d'une insécurité permanente que l'on ne manquera pas d'attribuer à des mains étrangères, au terrorisme incarné par la mythique Al-Qaïda, aux impies et malintentionnés qu'ils prétendront être les seuls à pouvoir couper. À ce petit jeu, les Occidentaux ont toutes les chances de se voir désigner comme l'ennemi, surtout s'ils ont la mauvaise idée de ne plus soutenir, ou au moins de ne plus tolérer, les Frères musulmans»(**). Ce schéma constitue l'exacte répétition du précédent afghan voyant les « combattants de la liberté» soutenus par la CIA contre l'envahisseur russe en 1979 puis abandonnés à leur sort lors du retrait russe se retourner contre leurs bienfaiteurs américains et saoudiens. La Tunisie est désormais le laboratoire de cette nouvelle thérapeutique.
Une impérieuse stratégie de lutte contre le terrorisme
Ce contexte en effervescence dicte une réforme de l'appareil sécuritaire tunisien en deux temps :
A court terme, faire face à l'urgence découlant de la montée en puissance du jihadisme, de la menace terroriste et de l'enracinement du crime organisé transnational (multiplication des trafics illégaux en tous genres) sur fond d'aggravation de la corruption et d'affaiblissement de l'Etat tunisien. Cette orientation dicte une analyse rigoureuse et objective des facteurs alimentant le terrorisme et de la nature des acteurs afin d'élaborer les contre-stratégies ou ripostes à court terme en mesure de les contenir.
A moyen terme, une refonte de l'architecture sécuritaire tunisienne visant une rationalisation du fonctionnement des institutions impliquées dans la lutte contre ces menaces s'impose. Il conviendra d'être en mesure de dessiner les contours d'une stratégie nationale de sécurité (mission, composition et fonctionnement) pilotée par le Conseil national de sécurité (CNS). Cette structure assumera notamment la centralisation du renseignement stratégique, pierre angulaire de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, et sera dotée d'unités diverses, notamment de renseignement, d'analyse géopolitique, de veille et d'analyse prospective (élaboration de scénarios et identification de situations de seuil d'alerte sécuritaire avec construction de tableaux de bord d'alerte).
Le fonctionnement et la performance des forces de sécurité intérieures s'inscrivent au sein d'une représentation du champ des menaces non pas simplement du passé ou du présent mais également de l'avenir. Un Etat doit être en mesure de maîtriser les enjeux d'avenir de sa politique de sécurité et les besoins qui en découlent afin de jouer pleinement son rôle dans le maintien des grands équilibres internes. La volatilité et la diversité des menaces pouvant peser significativement sur la sécurité de la Tunisie dictent de sensibiliser les différents acteurs à la nécessité de la prise en compte de l'avenir dans leurs processus d'évaluation, de diagnostic et de traitement des sources de menace avérées ou potentielles. Plus que jamais, l'anticipation est au cœur de la lutte contre le terrorisme en Tunisie.
M.T.
*(Géopoliticien, spécialiste du Maghreb et du Sahel
directeur de Global Prospect Intelligence)
**Alain Chouet, «Le jihad de troisième génération : entre fantasme médiatique et réalité stratégique», Les Cahiers de l'Orient, N°114, Printemps 2014, pp. 121-136.
Global War On Terror.


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