Invité du Festival international du film pour l'enfance et la jeunesse de Sousse, dans sa dixième édition, le cinéaste syrien Mohamed Malas n'est plus à présenter. Depuis ses débuts, ses fictions, comme Les rêves de la ville (1982) et La nuit (1992), ont récolté des prix dans divers festivals internationaux. Il est arrivé au Fifej avec son tout dernier film, Une échelle pour Damas, qui parle du conflit en Syrie. Sa rencontre avec les jeunes lors d'une master class a permis d'avoir une idée plus claire sur l'œuvre qui, en quelque sorte, a toujours été la sienne, fidèle qu'il est à sa vision première d'un cinéma d'auteur, alternatif. Il nous explique comment et dans quel contexte est née cette vision, et quel rôle peut avoir l'artiste dans une situation comme celle de la Syrie aujourd'hui. Comment êtes-vous arrivé au cinéma ? Vous me faites retourner 40 ans en arrière. J'ai commencé par étudier le cinéma à Moscou et puis je suis retourné à Damas, où j'ai commencé à militer pour renforcer et développer le cinéma national en Syrie. Au début, cela consistait à faire des films, vu le petit nombre de productions locales à l'époque. Le contexte était marqué par le retrait des producteurs privés et l'arrivée du secteur public. Ce dernier avait commencé à produire des films empreints d'un cachet national, loin des films qui copiaient le cinéma égyptien. C'était à un moment où les mouvements sociaux et nationaux étaient à leur comble. Il y avait des changements qui allaient dans le sens de l'évolution de la société syrienne. L'évolution du pays était même le rêve général. Pendant la même période, la société nationale du cinéma a été derrière de nombreux films marquants dans l'histoire du cinéma syrien et même arabe. Elle a en effet, dans une portée de nationalisme et de panarabisme, produit des films de cinéastes arabes comme Les dupes (1972), de Tawfik Saleh, et Kafr Kassem (1974), de Borhan Alawieh. Quant au cinéma documentaire, il était à ses débuts. Il a pu se développer grâce à des noms comme Omar Amiralay... Tout comme lui, je faisais partie de la deuxième génération de cinéastes et nous nous sommes rangés du côté d'un cinéma alternatif et «sérieux». C'est devenu un mouvement de cinéma nouveau dans tout le monde arabe, annoncé par les jeunes réalisateurs pendant le Festival du cinéma de jeunesse de Damas en 1978. Comment votre vision et votre «personnalité» cinématographique sont-elles nées ? A mon retour en Syrie, et à partir de ma formation et de ma culture cinématographique, j'ai pu développer ma propre vision, qui se base sur ce qu'on peut appeler le cinéma d'auteur. Ce courant est venu s'ajouter aux autres mouvements du cinéma national. Dans le même temps, il n'était pas facile de concrétiser cette émancipation sous le régime politique qui gouvernait. Puisqu'il était le seul producteur de cinéma. Il nous fallait donc trouver un langage qui raconte la réalité de manière à passer à travers les mailles du filet de la sévère censure qui existait et qui existe encore dans notre quotidien. C'est ainsi que j'ai pu réaliser mon premier film Les rêves de la ville (1982), qui a obtenu le Tanit d'Or aux JCC. La reconnaissance que le film a rencontrée a renforcé mon choix et ma vision du cinéma. Il a été bien accueilli dans les festivals internationaux et a récolté une douzaine de prix. Voilà comment j'ai commencé à tracer mon chemin et à me forger un style et des choix cinématographiques. Ces derniers m'ont permis d'exprimer tout mon ressenti à l'égard de ma société avec son histoire passée et contemporaine, ses problèmes et ses grandes causes nationales, dont il fallait se débarrasser à cette époque-là et qui ont amené le pays, aujourd'hui, à subir les difficultés et les tragédies dont il souffre. Que reste-t-il des rêves premiers et comment a évolué cette expérience ? Je pense qu'il est pertinent de ne pas parler d'expériences personnelles mais de l'expérience d'une génération. Notre génération a vécu, depuis son enfance et jusqu'à aujourd'hui, au rythme d'innombrables guerres et conflits, et je trouve qu'elle n'a pas failli à sa mission qui consiste à appeler à ce que le pays dépasse ses problèmes politiques, sociaux et nationaux. Nous avons vécu au rythme de nos guerres et de celles de nos voisins. Les régimes des pays arabes ne cherchaient qu'à augmenter leur tyrannie. Malgré cela, notre génération n'a pas cessé d'appeler à démocratiser la vie de nos peuples et à améliorer leurs conditions de vie, et ce, avec tous les moyens d'expression qui étaient à notre disposition. Sur les quarante dernières années, l'image que les films nationaux ont donnée de la Syrie est éloquente et permet de conclure que ce qui arrive aujourd'hui est le résultat des problèmes sociaux que nous appelions à résoudre. Les problèmes du Syrien d'aujourd'hui trouvent leurs racines quarante ans en arrière et même plus. Quel est, selon vous, le rôle du cinéaste dans ce qui se passe en Syrie actuellement ? Je ne désire pas théoriser sur la situation ou donner des conseils inutiles, mais je pense que ce qui arrive aujourd'hui est la révolte d'une jeunesse qui a décidé de ne plus accepter et se résigner à sa réalité. Une réalité marquée par le chômage, l'injustice et le manque de libertés, qui a mené le pays aux conflits et aux séparations. Concernant le cinéma, il y a les mêmes soucis. Cette jeune génération a la chance d'accéder à des outils d'expression numériques et audiovisuels à la pointe de la technologie. Je suis de ceux qui pensent que l'expression par l'image et le son ne demande plus des mesures et des préparations complexes, et cela a permis à tout le monde de documenter ce qui arrive et de le mettre sur Internet. Cela a conduit à une pléthore d'images, qui sont à la disposition de ceux qui désirent créer un nouveau mouvement de cinéma en Syrie. Il s'agit principalement de documentaires, mais c'est un champ de créativité inouï pour ceux qui ont du talent. Pour le moment, c'est la fiction qui est plus importante et je trouve que mon dernier film, Une échelle pour Damas, est le seul qui parle de la situation d'une manière objective, loin de la propagande pour le régime ou pour l'opposition. Il y a également les quelques films produits par la société nationale du cinéma, avec une augmentation de la censure et des thèmes qui fuient la situation actuelle pour placer ses histoires avant le début de la révolte. Comment estimez-vous arriver à cette équation d'objectivité dans votre œuvre ? J'y arrive en puisant dans ma propre vision du cinéma. En 2011, au début de la révolte, il y avait de tout, la voix du régime comme de l'opposition, et la télévision. Le cinéma était le seul élément absent. Alors, je voulais lui donner la parole. Dans Une échelle pour Damas, une douzaine de jeunes Syriens, travailleurs ou étudiants, habitent ensemble dans une même pension d'une maison centenaire, au cœur de la capitale syrienne, quand la violence se déchaîne dans les rues. J'ai imaginé le témoignage du cinéma à travers des personnages qui vivent ce qui se passe avec leur propre ressenti. Ils ne s'expriment qu'avec ce qu'ils sont et qui ils sont. C'est ma définition de l'art et du cinéma. Dans la master class du Fifej vous avez dit que, dans le monde arabe, il y a une «pauvreté visuelle». Quelles en sont les raisons et comment y remédier ? C'est une pauvreté visuelle et une pauvreté dans la culture visuelle. Ce n'est pas général à tous les pays arabes, mais cela est parfois flagrant. Quand l'image est perçue sans la culture nécessaire, sa lecture reste superficielle. L'image doit être estimée à sa juste valeur de moyen d'expression aux multiples niveaux de création et de lecture. On ne peut échapper à cette réalité sociale, politique et culturelle qu'en arrivant à des peuples désireux et capables de se libérer de leurs chaînes, surtout culturelles. Tous les peuples arabes souffrent de cultures qui n'ont pas évolué depuis des siècles. Ils sont sous l'emprise de valeurs et de principes dictés par les us et coutumes, ainsi que d'un enseignement qui n'est pas libre.