Par Hamma HANACHI L'année 2014 est un grand cru, un millésime exceptionnel : elle est riche en commémorations, en documents et autres mémoires. Centenaire du déclenchement de la Grande guerre — les fronts, des millions de morts, des correspondances, de petites histoires dans la grande, des noms, tels que Champagne, La Somme, La Marne... Les mémorialistes s'y sont mis tôt pour évoquer cette stupide boucherie. Livres, essais : les éditeurs ont sorti la grande artillerie. Films, documentaires : les producteurs de cinéma ont raclé les fonds des cinémathèques et les archives. Pas moins de 135 films et documentaires sont programmés par France Télévisions. Les livres et mémoires sont nombreux. Détails, correspondances et anecdotes sont publiés. L'éditeur Christian Bourgois sort Carnets de guerre 1914-1918 d'Ernst Jünger (1895- 1998), un homme exceptionnel, guerrier courageux. Engagé à l'âge de 19 ans, il prenait des notes sur place, dans le feu des batailles. Un carnet dans sa vareuse, il décrivait tout ce qu'il observait. Ecrivain prolifique, il aimait la guerre, laquelle était pour lui une forme d'idéal : «Un nietzschéen, un esthète de la guerre», disait Bernard Frank, auteur et critique. Gallimard publie la Correspondance 1911-1949 de l'acteur Louis Jouvet (1887-1951), avec son ami Jacques Copeau, cofondateur de la NRF. Jouvet le créateur de Dr Knock était engagé comme infirmier. Il a fait sa guerre dans la Somme, il décrira les souffrances, la boue, le froid, avec un peu d'humour parfois. 1914, centenaire de la parution de la «Recherche» de Marcel Proust, événement majeur dans la littérature : on en a parlé dans cette rubrique avec suffisamment de détails. 1914 encore, on célèbre la naissance d'une grande dame des lettres , Marguerite Duras, qui entre dans la Pléiade. Le Monde lui consacre un dossier, le 4 avril, jour de sa naissance. Lundi 7 avril, la chaîne Arte dédie une bonne partie de sa programmation à l'auteur de l'Amant (Prix Goncourt 1984). Un documentaire inédit Le siècle de Duras, signé Pierre Assouline. Biographe de renom (Gaston Gallimard, D.H.Kahnweiler, Monsieur Dassault, etc), il a réalisé une série de documentaires intitulés Le Siècle de... Il y a eu Cartier Bresson, Georges Simenon. Le portrait de Duras introduit une soirée cinéma, l'Amant de Jean-Jacques Annaud, Hiroshima, mon amour d'Alain Renais, ponctués par de beaux documentaires. Duras raconte son enfance, sa mère, ses années au Vietnam, les batailles contre la pauvreté, le racisme, les «Sales années», son éveil à la vie, ses débuts « en littérature», son voyage en France, les études, sa période d'engagement dans la Résistance, sa rencontre, son admiration et sa liaison avec son mari Robert Antelme, son adhésion au parti communiste, son soutien aux Algériens contre les colons, ses amitiés avec le président Mitterrand : «Un homme bien, il n'a pas d'argent, il n'a pas d'idéologie», dira-t-elle. Le documentaire est tantôt en couleurs, tantôt en noir et blanc. Duras est de face, creuse, apparemment sans difficulté dans son passé, cherche le mot juste : «Un écrivain, c'est ambigu, c'est contradictoire, c'est un muet ». Elle montre son admiration pour Blanchot ou pour Bataille. «Sartre n'a jamais écrit, il a fait des essais, produit des réflexions». Le cinéma ? «C'est un acte de rupture, de refus. J'en avais marre du cinéma commercial. Le cinéma, c'est la musicalité de la voix...». Elle parle de son corps déformé par le surpoids, sa cirrhose : « Ca me plaisait de me dégoûter». Duras, une voix, une musique. 2014 en Tunisie ? Ce n'est pas la guerre et ses cruautés qu'on célébrera, mais un fameux voyage d'artistes. En ce mois d'avril 1914, Paul Klee, August Macke et Louis Moilliet étaient en visite en Tunisie, une découverte, un monde nouveau s'ouvrait pour eux : la lumière, les formes. Des écrits théoriques suivront, une nouvelle vision de la peinture, de l'art, de l'abstraction, etc. Des concerts, des conférences, des projections de films, des expositions, des débats : les organisateurs (l'ambassade de Suisse, le Goethe Institut, l'ambassade d'Allemagne ; l'Espace Sadika, Cherif Fine Art, et le German Academic Exchange Service) ont mis les petits plats dans les grands pour montrer au public l'importance de ce voyage historique. Aujourd'hui jeudi (14h), un colloque, intitulé «La Tunisie de Paul Klee», se tient au cinéma Le Mondial. Demain, une exposition de photos est organisée à la galerie Cherif Fine Art à Sidi Bou Saïd, «des photos d'époque de voyage pris par August Macke et de Gabriele Münter, compagne de Kandinsky), confrontées au regard de deux photographes actuels, Florian Schreiber (Allemagne) et Wassim Ghozlani (Tunisie) : vernissage à 18h00. Dimanche 13 avril à l'Espace Sadika, Gammarth, à 15h00, une exposition, intitulée «Paul Klee et le tapis tunisien», rend hommage aux femmes tisserandes du Centre-Ouest. Un beau livre sur le sujet est édité, il est signé Jean Lancri et Alain Nadaud. D'autres rendez-vous sont au programme. 2014, une année faste, éclatante.