Par Abdelhamid Gmati Branle-bas de combat dans l'ensemble de la classe politique et de certaines organisations et personnalités depuis que la Cour d'appel militaire de Tunis a rendu son verdict dans l'affaire dite « des martyrs de la révolution». A quelques exceptions près, tous expriment leur insatisfaction, leur déception, leur consternation, allant jusqu'à condamner et à mettre en cause l'indépendance et la compétence de cette cour. Chacun y va de son couplet et se lance dans des accusations diverses. Pour les uns, c'est Ennahdha qui aurait influencé le tribunal ; pour d'autres, c'est le gouvernement de la Troïka qui n'a pas su ou voulu traiter ce dossier, pour d'autres encore, c'est le parti Nida Tounès qui serait responsable. Une députée s'en prend même au président de l'ANC, l'accusant d'être un de ceux qui ont tué les martyrs. Une vingtaine de députés vont jusqu'à geler leur adhésion à l'ANC en signe de protestation contre le verdict de la cour militaire. Le Président provisoire de la République et celui de l'ANC expriment leur désapprobation et mettent en doute l'instance judiciaire. Les familles des victimes ont le droit de ne pas être satisfaites du verdict, estimant que justice n'a pas été rendue à leurs proches et exigeant que les coupables soient punis comme il se doit. Et chacun a également le droit d'avoir son opinion quant à ces jugements. Mais depuis quand un tribunal juge-t-il pour satisfaire les uns ou les autres ? Un tribunal fonctionne en appliquant des lois et à partir de documents établissant des preuves irréfutables. Doit-on incriminer la justice dans son ensemble parce qu'un jugement ne plaît pas ? La plupart des intervenants politiques condamnent sans connaître les dossiers et sans présenter des preuves de ce qu'ils avancent. C'est ce qu'exprime Raoudha Laabidi, présidente du syndicat des magistrats tunisiens, dans le témoignage qu'elle a livré à notre journal dans son édition du 14 avril : « Je m'étonne des déclarations du président provisoire de la République qui affirme que la culpabilité de certaines personnes jugées est établie, et des communiqués publiés par les partis politiques, bien que n'ayant pas pris connaissance du dossier. Plus grave encore, personne n'a eu jusqu'ici le privilège de parcourir le jugement et d'avoir la moindre idée des motivations sur lesquelles il est fondé. Sur le plan juridique, il n'existe qu'une seule solution pour s'opposer au jugement en question. Il s'agit de recourir à la Cour de Cassation... La justice, qu'elle soit militaire ou civile, rend ses jugements uniquement sur la base des documents qui sont à sa disposition. Elle n'obéit ni aux désirs de l'opinion publique ni aux agendas des partis politiques ». Soulignons que le parquet militaire a émis un communiqué dans lequel il «souligne qu'il a fait appel du verdict prononcé par la cour criminelle du Tribunal de première instance devant le cour de Cassation, étant donné que cette institution est apte à contrôler la validité des verdicts et peut intervenir en cas d'infraction à la loi. Il affirme que l'instance qui a prononcé les verdicts bénéficie de toutes les garanties de l'indépendance et qu'elle est composée de magistrats professionnels qui ne se soumettent dans leurs verdicts qu'à la loi et à leur conscience, et que ces affaires ont été distribuées par parité entre des magistrats judiciaires et militaires. Il appelle à ne pas impliquer la justice militaire dans des tiraillements, quels que soient leurs objectifs, et à ne pas exploiter les verdicts rendus pour mettre en doute l'intégrité de l'appareil judiciaire militaire ». A noter aussi que la famille de Ali Seriati compte se pourvoir en cassation, estimant que les trois années d'emprisonnement contre Ali Seriati sont une injustice et que le tribunal doit statuer pour l'acquittement. De son côté, le ministre de la Justice, Hafedh Ben Salah, a indiqué que ni son ministère, ni le gouvernement, n'ont à commenter les verdicts rendus par le Tribunal militaire concernant l'affaire des martyrs et des blessés de la Révolution... Le pouvoir judiciaire est un pouvoir responsable, qui émet des jugements selon les dossiers qui lui sont présentés. Il faut les respecter et s'y plier». Le ministre de la Justice a conclu en précisant qu'il y a toujours des moyens et des procédures juridiques, qui permettent à tous ceux qui sont insatisfaits de ce verdit de le contester. Voilà qui est clair et des politiciens responsables et soucieux d'établir une démocratie devraient prendre en compte au lieu de s'adonner au populisme éhonté. En conclusion, laissons donc la justice faire son travail en toute indépendance.