Les constituants démocrates font pression pour empêcher le texte de loi de passer en séance plénière Comme l'on s'y attendait, le projet de loi portant création des chambres judiciaires spécialisées, qui auront pour mission de rejuger les responsables sécuritaires de l'ancien régime (ayant reçu des sentences très légères pour ne pas dire insignifiantes), a suscité beaucoup de remous au sein de l'Assemblée nationale constituante. Et ce sont les constituants du bloc démocratique qui se sont mobilisés pour signer une pétition dans laquelle ils appellent à ce que le projet de loi en question, mis en œuvre par la commission parlementaire de la législation générale, ne soit pas soumis à la discussion générale et au vote d'une prochaine séance plénière. L'argument sur lequel se basent les signataires de la pétition est on ne peut plus simple et clair : le projet de loi viole les articles 110 et 149 de la Constitution du 27 janvier 2014. En effet, l'article 110 de la Constitution interdit, purement et simplement, la création de tribunaux spéciaux ou d'exception. Et même si l'on affirme, du côté de ceux qui soutiennent le projet de loi 44/2012, déposé par le mouvement Wafa, qu'il s'agira de chambres judiciaires spécialisées qui dépendront de la justice judiciaire, les signataires de la pétition considèrent pour leur part qu'il est question en réalité de tribunaux spéciaux. Et que cela constitue un retour à la justice d'exception, sous une couverture civile. Quant à l'article 149 des dispositions transitoires de la Constitution, il stipule que les tribunaux militaires continueront de statuer sur les affaires qui leur sont confiées jusqu'à l'entrée en vigueur de l'article 110. En plus clair, selon la Constitution actuelle, l'affaire des martyrs sera réexaminée par la Cour de cassation, où siégera un magistrat militaire aux côtés de magistrats civils, et ce, au cas où le recours en cassation introduit par le parquet militaire et les avocats de la défense des familles des martyrs était déclaré recevable sur le plan de la forme et du fond. Sans oublier les défenseurs des prévenus qui ont déclaré qu'ils allaient se pourvoir en Cassation, estimant eux aussi que les jugements prononcés par la Cour d'appel n'ont pas satisfait leurs demandes. La balle est dans le camp de Mustapha Ben Jaâfar Reste à savoir maintenant quel sort sera réservé par le bureau de l'ANC, plus particulièrement par Mustapha Ben Jaâfar, président de l'ANC, au projet de loi sur les chambres judiciaires spécialisées. A-t-il le droit de le laisser dormir dans les tiroirs de son bureau ou est-il obligé de le soumettre à la séance plénière pour qu'elle décide de son sort ? Pour le moment, rien n'est clair. Une source auprès de l'ANC confie à La Presse : «Le bureau de l'ANC peut rejeter le projet à condition qu'il y décèle un quelconque empêchement juridique». De leur côté, les signataires de la pétition pensent que le projet de loi sur les chambres judiciaires spécialisées «constituera le premier examen qu'aura à affronter l'Instance provisoire de contrôle de la consitutionnalité des lois fraîchement créée». Les mêmes sources rappellent que Mustapha Ben Jaâfar a déjà gelé le projet de loi dit loi 44/2012 (appelant à la création de tribunaux spéciaux) «pour des considérations à caractère politique, à l'époque, et l'ANC en a fait de même pour la discussion, article par article, de la loi sur l'immunisation politique de la révolution, quand Ennahdha a décidé de ne plus soutenir la loi indiquée». L'on se demande comment l'ANC, ou plus exactement son bureau, va sortir de cet imbroglio juridique dans lequel s'est embourbée la commission de législation générale. Imbroglio auquel a fait allusion, peut-être sans le vouloir, Kalthoum Badreddine, présidente de la commission, en déclarant (voir La Presse du 18 avril) : «La commission s'est efforcée d'être en conformité avec les articles 110 et 149 de la Constitution afin de garantir autant que possible la constitutionnalité du projet de loi». Il est à préciser que le projet de loi a reçu l'aval du président provisoire de la République Moncef Marzouki, qui a exprimé son soutien au processus de rejugement des responsables sécuritaires du régime déchu. D'abord, en recevant, jeudi 17 avril, certains membres des familles des martyrs ainsi que le collectif de leurs avocats. Hier, il l'a réitéré dans on discours de célébration de l'anniversaire des forces de sécurité intérieure. Mais cette fois, il a insisté sur l'accélération des procédures de cassation dans le but d'éviter de perdre du temps en attendant la création des chambres spécialisées. Mahmoud Baroudi (Alliance démocratique) : Les amendements urgents Le traitement des affaires des martyrs devrait se baser sur la Constitution, en particulier sur l'article 149 prévoyant que les tribunaux militaires poursuivent l'exercice de leurs compétences conformément aux lois en vigueur jusqu'à leur amendement pour leur adaptation aux dispositions de l'article 110. Il est impératif d'amender l'article 5 du Code de procédure militaire relatif aux compétences accordées aux tribunaux militaires, de manière à ce qu'ils se spécialisent dans les affaires militaires uniquement. Il faut annuler également les paragraphes I et II de l'article 22 du statut des forces de sécurité. A l'issue de ces amendements, les affaires des martyrs relèveront des tribunaux de droit commun. Quant à la création de chambres spécialisées, elle relève de la compétence des présidents des tribunaux sans que l'ANC n'ait à y intervenir. En tout état de cause, les familles des martyrs peuvent s'adresser à l'Instance vérité et dignité au cas où elles considéreraient que les jugements ne sont pas conformes à leurs demandes. A.D.