Par Hamma HANACHI La nouvelle scène est riche de jeunes artistes inspirés. Des noms ont émergé, d'autres ont même franchi les frontières. Malek Gnaoui est parmi ceux-ci. Son parcours, tout comme son travail, est atypique. Il a tracé son sillon en créant un univers singulier, fondé sur le rite du sacrifice du mouton : des cornes intégrées à des installations sonores et lumineuses. Un travail original, immédiatement identifiable. La galerie Talmart, à Paris, lui consacre, jusqu'au mois de mai prochain, sa première exposition, hors de Tunis, intitulée «Abattoir». Au mois d'avril, une autre exposition, portant le même nom, lui a été consacrée à Londres. A la galerie Selma Feriani, l'artiste prend du champ et de la hauteur. Malek Gnaoui est un jeune céramiste de la génération montante. Il a été formé à l'Ecole d'Art et de Décoration ainsi qu'au Centre national de la céramique d'art (Sidi Kacem Jellizi, Tunisie). Il a effectué plusieurs résidences artistiques, notamment celle de la Cité des Arts à Paris, ainsi que celle du Centre des arts vivants de Radès, où il est actuellement enseignant. Il a reçu en 2008 le premier prix de la céramique au 4e Salon de la sculpture et de la céramique à Sfax. Il a, par ailleurs, participé à plusieurs expositions en Tunisie et à l'étranger. Au début de la révolution, il a exposé en groupe, notamment au Centre national des arts vivants. Nous avons exprimé, ici-même, sa démarche, le processus de sa création et notre admiration pour ses œuvres. L'artiste développe, depuis trois ans, l'histoire du «Mouton noir» (Black sheep). L'animal est une métaphore du citoyen sacrifié. L'œuvre de l'artiste oscille entre figuration sérigraphiée sur plaque de céramique et vague évocation, par métonymie, du mouton dont seule une corne est fixée sur une pièce géométrique. Engagé dans une recherche poussée, l'artiste alerte, par ses objets qui mêlent la lumière clignotante et la matière. Six portraits sont également exposés, en noir et blanc : des moutons dans un cadre céramique baroque en brique, surmontés par une petite lampe rouge qui clignote, accrochés en un triangle renversé, étaient la première installation autour de «Black sheep». Le tout est une relecture personnelle de l'imagerie populaire et de l'imagerie de la pratique utilisée elle-même. Le «Mouton noir» a progressivement évolué vers le couteau éclairé de la même lumière, entre élégance chromatique et sens sacrificiel de la couleur et de la lumière. Inclassable dans le paysage artistique, petit à petit, Gnaoui construit une carrière qui, à notre sens, rencontrera de bonnes critiques à l'étranger. Nous l'avons rencontré quelques jours avant son exposition de Paris. Enthousiaste, avec force détails, il nous a présenté son projet intitulé «Abattoir». L'exposition propose un ensemble de pièces extraites du monde du travail sur la viande animale : la boucherie. Dans le droit fil du «Mouton noir» qu'il développe depuis la révolution tunisienne de 2011, Malek Gnaoui augmente sa variation d'ustensiles qui servent à sacrifier le mouton et à en présenter les meilleurs morceaux dans les étals. Deux nouvelles collaborations marquent cette étape dans l'œuvre générale intitulée «Black Sheep» : le vidéaste Alaeddine Slim co-signe avec Malek Gnaoui la vidéo «Black Sheep - L'Usina-» qui met en scène le sacrifice du mouton. Le graphiste Belhassen Chtioui a apporté sa collaboration au traitement commercial de l'œuvre, reproduisant les biens de consommation. La plupart des œuvres sont en céramique et de technique mixte : céramique, lumière et plastique. Comme lors de créations précédentes, la dimension lumineuse est un signal qui alerte autant qu'il éclaire. Plusieurs séries d'œuvres ont été réalisées pour cette exposition : un ensemble de 11 céramiques, sous le titre «Black Sheep - Caisse à outils», allant du couteau aux autres outils de bouche. L'œuvre «Made in 0464» est une série de testicules de mouton en céramique emballés. La vidéo «Black Sheep - Fabrica», coréalisée avec le vidéaste Alaeddine Slim met en scène le sacrifice du mouton, l'enseigne en peau de mouton tendue et éclairée, une série de 3 papiers porcelaine, «Cheese photo». Le titre l'«Abattoir» est à saisir dans son sens sacrificiel : lieu où le sang coule, où les mots fusent, lieu de prise de parole dangereuse, lieu que le peuple en quête de liberté ne craint pas d'investir. Dans le monde de l'art contemporain, il faut dire qu'il y a en Tunisie beaucoup d'appelés et peu d'élus. Gnaoui fait partie de ces derniers, il creuse patiemment son trou à l'étranger, revendiquant haut ses références.