Défaillance des procédures concernant le don chinois accordé au ministère des Affaires étrangères Accéder aux dossiers brûlants de l'Etat n'est plus top secret. « D'autant plus que le temps de la désinformation et de la discrétion sur l'état de gestion des finances publiques est révolu», a souligné le premier président de la Cour des comptes, M. Abdellatif Kharrat, en s'adressant, hier, aux médias lors d'une conférence de presse, tenue à Tunis, consacrée à la présentation du 28e rapport annuel et celui de la clôture du budget de l'Etat pour l'exercice 2011. Cela s'inscrit dans le droit fil des résultats finaux des travaux de la Cour des comptes au titre de l'année judiciaire 2012-2013. Il a, dans son allocution d'ouverture, fait valoir que la publication automatique de tels rapports demeure un acquis garanti par la nouvelle constitution, et ce conformément à l'article 117. Celui-ci stipule que la Cour des comptes, en tant que partie prenante de la juridiction financière, aura à contrôler la bonne gestion des deniers publics selon les principes de la légalité, de l'efficacité et de la transparence, tout en évaluant les méthodes comptables et sanctionnant les fautes y afférentes.. Sa mission, certes, est de s'assurer du bon usage de l'argent public, étant donné qu'il provient de l'effort du citoyen contribuable, toutes catégories professionnelles confondues. Le contrôle réalisé par la Cour des comptes au ministère des Affaires étrangères, au titre de l'année judiciaire 2012/2013, a révélé une défaillance des procédures concernant le don chinois et une entorse aux lois du code de la comptabilité publique, a déclaré le premier président de la Cour des comptes. Selon lui, le don chinois d'un million de dollars (environ 1 million 600 mille dinars) a été versé dans le compte bancaire spécial du ministère dans lequel sont déposées les sommes destinées aux dépenses spécifiques. L'opération de contrôle effectuée audit ministère a démontré que la partie chinoise a demandé de ne rien divulguer au sujet du don afin d'éviter que d'autres pays demandent à bénéficier de dons pareils. Il a souligné que la somme a été versée dans le compte bancaire du ministère ouvert auprès de la Société Tunisienne de Banque (STB). Pour la Cour des comptes, cet acte est illégal et non conforme aux procédures en vigueur contenues dans le code de comptabilité publique, a-t-il précisé. Le ministère aurait dû verser ce don dans le compte courant de la Banque Centrale de la Tunisie (BCT), a-t-il dit, faisant savoir que dès qu'il a relevé ce dépassement, l'ancien ministre des Finances a demandé au ministre des Affaires étrangères de verser cette somme dans la Trésorerie générale. Et d'ajouter que l'opération de contrôle a également révélé un manque de mécanismes d'évaluation de l'action diplomatique et des défaillances au niveau de la gestion. Kharrat n'a pas écarté la possibilité de réaliser des opérations de contrôle au niveau de la présidence de la République, de l'Assemblée nationale constituante (ANC) et de la présidence du gouvernement. Tableau noir Tout comme celui qui l'a précédé, le 28e rapport annuel de la Cour des comptes vient dresser un tableau tout noir. Le bilan est jugé autant négatif que décevant. Chiffres et analyses à l'appui, tels qu'avancés par les deux oratrices, Mmes Amel Elloumi Baoueb et Aicha Belhassan, respectivement conseiller-chef du département et conseiller adjoint auprès de la Cour des comptes, l'administration tunisienne semble être gangrenée par la corruption et la malversation. L'hémorragie financière, les avantages indus obtenus et les irrégularités constatées en mode de gestion ne sont plus à démontrer. En matière de finances publiques, au titre du budget de l'Etat pour 2011, les dépenses ont dépassé de loin les ressources propres et celles provenant des dettes. Avec un déficit budgétaire de 3,3%, soit un taux d'augmentation de plus de 2% par rapport à 2010. Tout compte fait, le budget de l'Etat en 2011 n'a pas reflété, en quelque sorte, la réalité des coûts qu'il a subis. Conséquence : les indicateurs de développement des finances publiques ont été en nette régression. De même, le secteur d'investissement, objet de contrôle de la Cour des comptes, a connu le même sort. Ses deux moteurs de croissance, en l'occurrence l'Agence de promotion de industrie et de l'innovation (APII) et le Fonds de réorientation et de développement des pôles miniers, n'ont pas échappé aux dérives. Tous deux ont fait preuve de leurs capacités limitées à booster l'investissement. Leur défaillance dans la gestion s'est beaucoup répercutée sur la faisabilité des projets envisagés (3% seulement) et les offres d'emploi prévues, dont les créations n'ont pas dépassé les 9%. Et les objectifs tracés à ce niveau ont été en deçà des attentes. Pour le fonds, les irrégularités sont multiples : faible contribution dans l'effort du développement régional à Gafsa et au Kef, manque de visibilité, absence des critères objectifs et transgression des lois en vigueur. Ce fonds souffre aussi de carences en matière de gestion des dossiers de projets, sans aucun intérêt au volet recouvrement et suivi sur le terrain. Rien n'est en règle ! Dans le domaine des ressources humaines, ledit rapport a jugé que ce qui est réalisé ne peut satisfaire les demandes tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Cela est dû à la mauvaise exploitation des possibilités existantes. Ce mode de gestion défaillant est visiblement remarqué, d'après le rapport, à travers les rouages de l'Agence tunisienne de formation professionnelle (Atfp). Un établissement public dont le contrôle évaluatif est du ressort de la Cour des comptes. Les données chiffrées recensées ont fait que l'agence est en panne de fonctionnement général. Qu'il s'agisse de cadre réglementaire, qualité pédagogique, communication et orientation ou aussi gestion financière, les résultats ne sont pas rassurants. Rien n'est dans les normes. Un état des lieux qui laisse à désirer, engendrant un échec cuisant du système de formation, avec 30% d'abandon précoce des stagiaires. Autre chapitre et non des moindres, l'environnement. Qu'en est-il, alors, du traitement des eaux usées et du raccordement au réseau d'assainissement de l'Onas ? Le bilan est le même que dans les autres secteurs précités : faible taux d'assainissement, notamment dans le milieu rural, non-conformité des eaux traitées aux normes tunisiennes, pollution industrielle, absence de contrôle et menaces réelles sur la santé humaine, ainsi que des dépassements au niveau de la gestion. Idem pour le patrimoine et les sites archéologiques. La politique de sauvegarde fait ainsi défaut. Alors que l'agence qui veille à leur protection est mise à l'index, pour sa négligence doublement critiquée, sur le plan de la conservation et de la gestion administrative et financière. Promotion et sécurité sociale, un autre domaine aussi névralgique que déficitaire. En témoigne, en toute évidence, la situation de la Cnam. Celle-ci ne date pas d'aujourd'hui. Et les chiffres sont là pour mieux juger. En 2007, le déficit était aux alentours de quelque 71 millions de dinars. Pire encore, il se situe aujourd'hui à 78 millions de dinars, faisant état de déséquilibres financiers, remarquablement observés au niveau des régimes de retraite. L'hôpital universitaire Sahloul à Sousse n'est pas, lui aussi, dans une situation reluisante. Ce milieu hospitalier souffre de bien des difficultés procédurales, sans pour autant respecter les conditions d'hygiène les plus élémentaires. Toujours, selon ledit rapport annuel, les services assurés par l'Office de la poste, la Société nationale de distribution du pétrole et la société régionale de transport de Béja ne sont pas à la hauteur des aspirations. S'y ajoutent une capacité de stockage et des réserves financières ne répondant plus aux besoins. Notre diplomatie et nos relations de coopération internationale ne sont pas du reste. Depuis la révolution, l'image de la Tunisie demeure en jeu, faute de discours mesurés et d'une politique visionnaire. Le rapport a relevé certaines défaillances ayant trait aux négociations des traités, à la promotion de la coopération afro-africaine et au système organisant les finances publiques. Le contrôle du rendement des collectivités locales touche, cette fois-ci, les municipalités de Sfax, de Hammam-Sousse et de Tunis. L'on a enregistré des failles, partout, aussi bien au niveau de l'exécution des projets, de la protection des propriétés communales que sur le plan de la gestion. A toutes ces irrégularités multidimensionnelles, faut-il le noter, la Cour des comptes, avec ses différentes instances, est tenue de formuler les recommandations appropriées et en faire le suivi pour rectifier le tir. Cela n'exclut pas que des procédures judiciaires pourraient, si besoin est, être engagées à l'encontre des fauteurs. Il serait aussi possible de transférer à la justice les dossiers portant les sanctions signalées. Afin de consacrer les principes de la transparence et de reddition des comptes. Il reste que chacun devrait assumer sa part de responsabilité, surtout que ce rapport, avant d'être publié, a été soumis aux trois présidents, de la République, du gouvernement et de l'ANC.