Ahmed Brahim : «Si les forces démocratiques s'entêtent et continuent leur émiettement, nous nous dirigeons vers une défaite qui sera plus dure que celle de 2011» A l'heure où les cartes des alliances politiques semblent brouillées, le congrès national du parti Al-Massar, qui s'est ouvert hier à Tunis pour durer trois jours, vient à point nommé pour définir «une vision politique plus claire» selon les termes de Maher Hanine, membre du bureau exécutif du parti. Est-ce admettre que le parti nage dans le flou depuis que Nida Tounès a retiré le tapis sous ses pieds en décidant d'aller seul vers les élections législatives et présidentielle? Le flou, selon Samir Taïeb, le porte-parole du parti Al-Massar, il vient de ceux avec qui ils ont cru pouvoir s'unir. «Aujourd'hui nous sommes dans l'obligation de revoir nos positions à la lumière des changements d'orientation de nos partenaires, a-t-il déclaré. Al-Massar est resté pour sa part fidèle à ses positions initiales, celles de l'unification des forces démocratiques et nous allons continuer à œuvrer pour cela quitte à nous retrouver seuls à lever l'étendard de l'unité». Oseront-ils y aller seuls? Sur le podium, le président sortant du Parti, Ahmed Brahim menace: «Nous avons les moyens d'aller seuls aux élections, si nos partenaires s'obstinent à refuser l'unité». Drôle de revirement pour Al-Massar, qui a appelé, depuis décembre 2013, à la transformation du Front du salut (composé de partis de gauche et de droite et constitué au lendemain de l'assassinat de Mohamed Brahmi), en un véritable front électoral, risquant d'aller plus vite que la musique. «Le Front du salut n'a pas été un échec», selon Samir Taïeb qui considère que l'élaboration d'une Constitution consensuelle n'aurait pas été possible sans cette unité. «A l'époque nous avons réussi à rapprocher le Front populaire de Nida Tounès, affirme-t-il. Aujourd'hui, une partie de Nida Tounès découvre subitement qu'elle ne veut pas s'allier avec le FP et une frange du FP se rend compte qu'elle est incapable de s'entendre avec Nida Tounès». Le paysage a donc complètement changé et le parti se doit de tout revoir tout en gardant le cap de l'unité. Pendant ces trois jours, les congressistes, réunis à Hammamet, auront à se prononcer sur la forme d'alliances avec des partis avec lesquelles des négociations ont été entamées. «Aujourd'hui c'est clair, nous ne serons pas avec Nida Tounès. Néanmoins, d'autres opportunités s'annoncent», a affirmé la député Selma Baccar, sans toutefois donner plus d'éclaircissements. Ahmed Brahim a d'ailleurs fustigé, dans son allocution, ceux qui n'ont d'eux que «pour des égo démesurés» au détriment de l'unité de la famille démocratique. Il prévient ses amis: «Si les forces démocratiques s'entêtent et continuent leur émiettement, nous nous dirigeons vers une défaite qui sera plus dure que celle de 2011» En plus des motions politiques, les 350 congressistes auront à se pencher sur l'amendement du règlement intérieur du parti ainsi qu'une probable réorganisation des structures. Le dernier discours du chef Cela fait 49 ans qu'il s'est engagé dans la vie politique, mais Ahmed Brahim n'entend pas passer sa cinquantième année à la tête du parti Al-Massar. Il passera le relais à un nouveau président lors de ce congrès. A l'occasion, non sans émotion, ce vieux briscard de la politique a prononcé un discours fort applaudi par la salle. Il y donne sa vision de la politique et critique le gouvernement, la vieille Troïka ainsi que la soif de certains politiciens pour le pouvoir. Lors de son allocution, le président du parti a déclaré que le terrorisme a été nourri par le laxisme du gouvernement conduit par le parti islamiste. Toutefois, il admet que le parti Ennahdha a entrepris des révisions intellectuelles, mais qu'il devrait aller plus loin, en devenant un vrai parti civil. «Il y a de la place pour Ennahdha, mais il ne faudrait pas qu'il prenne toute la place», a-t-il notamment déclaré. Le gouvernement de Mehdi Jomâa n'a pas été épargné par Ahmed Brahim, l'accusant d'opter pour la mendicité auprès des pays étrangers et de vouloir accabler le pouvoir d'achat des citoyens. Où chercher l'argent ? «Ce sont les grandes fortunes du pays qu'il faudrait taxer, elles profitent de l'Etat sans contribuer de manière juste à sa viabilité», a-t-il dit avant d'ajouter que le gouvernement doit accélérer son application des dispositions de la feuille de route. Le pouvoir, il n'y a jamais songé, et il appelle ses frères d'armes à en faire de même. «Au diable les postes, pourvu que nous réussissions à aider le pays à aller mieux», s'est-il emporté, critiquant ceux qui nourrissent des ambitions personnelles au détriment de l'unité, alors que trois ans en arrière, ils luttaient contre la dictature et ses méfaits. Notons que la cérémonie d'ouverture du congrès a été marquée par la présence de plusieurs personnalités politiques et syndicales de Tunisie et d'ailleurs. Les partis de l'ancienne Troïka, eux, ont brillé par leur absence.