Un directeur de banque à la retraite sert le thé, son frère accueille les gens, son cousin s'occupe des chichas des clients. Dans cette ruelle de la Médina, des housses soyeuses de couleur bordeaux recouvrent les chaises, des fleurs fraîches sur chaque table; ici, c'est Dar Loumima, un café temporaire tenu par une famille tunisoise. Cette expérience, ils l'ont tentée une première fois au Ramadan de l'année dernière. Le grand frère, Raouf, a eu l'idée de mettre à profit la maison héritée du grand-père pour « participer à l'animation de la vieille Médina ». C'est pour eux une façon de profiter pleinement du Ramadan, « l'occasion de se retrouver tous en famille », affirme le jeune retraité. Selon les gérants de ce café éphémère, la majorité des clients sont soit de la famille, soit des connaissances du quartier. Et en effet, la table qui se trouve face au musicien est occupée par les femmes, la fille et la belle-famille. Nasreddine, le frère, est fier de leur entreprise. Il insiste sur le fait qu'ils ne font pas cela pour gagner de l'argent mais pour proposer un « service exigeant », des « produits de qualité » dans un quartier qui leur est cher. Un joli cadre Difficile de se frayer un chemin. Des familles avec des poussettes se faufilent entre les tables bondées de jeunes qui jouent aux cartes, rient ou chantent. Un vieil homme se lève et danse en balançant la tête de bas en haut au rythme de la troupe voisine. A quelques tables, Khaoula est venue de Ben Arous pour profiter des concerts et de l'ambiance « arabe », comme elle le dit elle-même. C'est aussi une question de facilité; n'ayant pas de voiture, les trains qui fonctionnent jusqu'à 23h30 lui permettent de profiter de la soirée dans la capitale. Nahed, une jeune étudiante de Bab Souika, est venue prendre un thé avec ses copines et ses cousines. Elle n'habite pas loin alors elle vient profiter le plus souvent possible de l'ambiance ramadanesque, qu'elle dit unique dans les souks. Amira, sa cousine, vient de Mégrine et passe, pour la première fois, sa soirée dans la Médina. « Le cadre est très joli, je ne suis vraiment pas déçue », assure la jolie rousse, le sourire aux lèvres. Un petit garçon en habit traditionnel vient proposer du jasmin au groupe de filles qui refusent. Et la foule emporte le jeune vendeur. A quelques mètres de là, une vieille porte en bois ouvre sur la rue Grand souk des chechias. Une troupe de trois musiciens met de l'ambiance avec des chansons classiques tunisiennes écoutées par des Tunisiens attablés, un verre de thé ou de soda à la main. Au coin de chaque ruelle, un groupe de musique en chasse un autre, des serveurs s'agitent, des gens se retrouvent. Il est plus de minuit, certains commencent à danser mais restent à leurs places. Chaque mètre est précieux dans ces rues étroites. Mohamed Yassine et Mohamed Ali sont voisins dans la Médina. Ces deux jeunes profitent de l'effervescence de leur quartier pour vendre de quoi manger. Leurs petits stands leur permettent de proposer, l'un, des sandwichs au thon ou au jambon, et l'autre des sucreries comme de l'assida zgougou ou du zrir. « Lui, il vend le dîner et moi le shour! », déclare Mohamed Ali en riant. La Médina culturelle En allant vers la rue du Pacha, on s'éloigne du brouhaha des cafés et de la musique. Les ruelles se vident et laissent place aux habitants. Sur une place, des enfants jouent avec des bâtons et un ballon pendant que des femmes assises sur les bancs en pierre grignotent des graines de tournesol. A la rue de la Hafsia, une trentaine de personnes sont groupées. Il faut se rapprocher pour pouvoir apercevoir le célèbre historien Abdessattar Amamou entouré de gens suspendus à ses lèvres. Celui-ci donne une visite guidée de la Médina et parle avec enthousiasme des bâtiments de pierre vieux de plusieurs siècles. Plus loin, au bout de la rue du Tribunal, le club Tahar- Haddad ouvre ses portes tous les soirs après la rupture du jeûne. Ce centre culturel, installé dans les anciennes écuries du palais Dar Lasram, propose des expositions de photos et sur l'artisanat tunisien (voir encadré). Sous les alcôves en pierre, un petit salon de thé accueille les quelques visiteurs. Dans une salle, au bout du vieux bâtiment, un groupe de jeunes échange des livres. Il s'agit de l'événement « Donne un livre, prends-en un autre » dans lequel des Tunisiens lisent des extraits de livres ou des poèmes qu'ils ont écrits eux-mêmes. Un moment de partage inattendu qui illustre bien l'ambiance ramadanesque de la Médina: joyeuse et conviviale.