Les discussions engagées par les députés au sein des commissions de la législation générale et des droits et libertés n'ont pas pu évoluer pour arriver à un compromis autour de plusieurs articles contenus dans le projet de loi antiterrorisme. Des discussions, encore en commissions, autour de détails qui risquent de retarder l'adoption de ce projet de loi tant attendu par la justice mais aussi par les différentes unités sécuritaires chargées de lutte contre le terrorisme Prévenir le terrorisme et lui appliquer une législation spécifique sans porter atteinte aux droits de l'Homme, est l'objectif de la loi antiterroriste. Introduite à l'Assemblée nationale constituante fin janvier dernier, elle vise à remplacer la loi de 2003 mise en place sous Ben Ali. Cette dernière, toujours en vigueur, a été largement utilisée par le précédent régime comme un outil de répression contre les opposants politiques. Les députés des commissions de la législation générale et des droits et libertés ont commencé l'examen du projet de loi il y a cinq semaines pour rédiger un rapport qui sera ensuite voté en séance plénière. Une loi difficile à adopter La difficulté de cette loi réside dans l'équilibre entre «la lutte contre le terrorisme et le respect des libertés et des droits de l'Homme», explique Abdessatar Ben Moussa, le président de la Ligue tunisienne des droits de l'Homme. Une législation spécifique pour le terrorisme doit en effet être plus stricte que celle concernant les autres crimes mais elle ne peut constituer une atteinte aux droits et libertés de tout un chacun. «Les discussions ont beaucoup piétiné», reconnaît Nadia Chabaâne, députée Al Massar. «Aujourd'hui on ne discute plus que de détails sur les formulations, mais on a passé trois semaines à parler de la pertinence d'une telle loi», se désole-t-elle. Des députés dissidents d'Ennahdha ou des visiteurs de la commission profitaient du temps dévolu à la parole pour « faire toujours les mêmes commentaires ou reprendre les débats à zéro», selon Nadia Chabaâne. Définir le terrorisme : des interprétations variées L'aspect qui pose le plus de problèmes aux députés est l'article 13 du projet de loi, celui qui donne une définition des crimes terroristes. Prenant part au débat, l'ONG Human Rights Watch a critiqué la formulation actuelle dans un rapport publié la semaine dernière. Le projet de loi «contient encore une définition vague et ambiguë de l'activité terroriste qui pourrait permettre au gouvernement de réprimer un large éventail de libertés protégées à l'échelle internationale», estime l'ONG. En l'état actuel, la participation à des manifestations ayant conduit à nuire «à la propriété privée ou publique, aux moyens de transport, aux réseaux de communication, à l'information et aux systèmes informatiques ou aux établissements publics», dit la loi, pourrait par exemple être considérée comme du terrorisme selon l'ONG. Une interprétation que réfute la députée Nadia Chabaâne, membre de la commission des droits et libertés : «Ce n'est pas du tout ce que je lis moi en regardant le texte» dit-elle, «il y a un côté suspicieux par rapport aux formulations, il y a une décontextualisation systématique», critique cette membre d'Al Massar. Pour elle, un simple manifestant ne se verra jamais appliquer la loi puisque d'autres critères entrent en jeu comme le contexte et le mobile. Autrement dit, si un citoyen n'a pas l'intention de causer la terreur parmi la population ou d'infléchir une décision politique, cette loi ne pourrait pas être appliquée. Nadia Chabaâne insiste aussi sur l'aspect violent que doit recouvrir un acte criminel pour être qualifié d'acte terroriste selon HRW : «Ça n'est pas du tout adapté au terrorisme tel qu'on le voit aujourd'hui», observe-t-elle, «il y a des cas de figures ou des terroristes qui peuvent bloquer des réseaux internet entier comme un aéroport sans qu'il y ait de violence et cela constitue pourtant bien un acte de terreur». Néanmoins, le rapport de HRW souligne aussi l'affaiblissement du pouvoir des avocats qui n'auraient pas accès aux éléments du dossier avant la mise en examen d'un individu. Les juges auraient aussi trop de pouvoir pour demander des procédures dérogatoires, et les mises sur écoute pourraient être faites de manière abusive. L'organisation internationale relève également une terminologie vague concernant «l'éloge du terrorisme». Des avancées par rapport à la loi de 2003 Mais s'il est critique sur certaines formulations du projet de loi, le rapport de Human Rights Watch salue également ses avancées par rapport à la loi de 2003. Le texte assure dans un premier temps une réparation aux victimes d'actes terroristes comme les frais de santé et judiciaires. Le texte pense aussi l'aspect préventif en créant une commission chargée d'élaborer une stratégie de lutte contre le terrorisme à travers l'éducation; commission composée de représentants des ministères concernés et dirigée par un magistrat. Enfin, les terroristes étrangers menacés de torture ou de traitements inhumains dans leur pays d'origine ne pourraient être extradés. «C'est vrai qu'il y a un effort dans cette loi», juge Abdessatar Ben Moussa, président de la Ltdh qui appuie toutefois les critiques de HRW. Mais le temps presse selon l'activiste : «Il faut se dépêcher de remplacer la loi anticonstitutionnelle de 2003, nous sommes dans une situation compliquée à l'heure actuelle», dit-il. La députée Souad Abderrahim du mouvement Ennahdha partage aussi cette hâte : «C'est vrai que certains députés discutent de ce projet avec beaucoup d'angoisse; mais nous devons continuer à nous activer, accélérer les discussions pour adopter cette loi avant la fin de notre mission», explique-t-elle. Les députés des deux commissions en charge de l'examen de la loi espèrent ainsi transmettre le texte en séance plénière dans les semaines à venir.