Les Tunisiens doivent connaître la vérité sur les richesses du pays qu'elles soient limitées ou abondantes Encore une polémique. Une de trop. Le refus de la commission de l'énergie relevant de l'ANC, le 8 juillet courant, de la prolongation de trois permis d'exploitation pétrolière à des compagnies étrangères. Le gouvernement Jomâa a réagi et prévenu contre le risque d'aggravation du déficit budgétaire et de la crise économique et sociale. Des experts dans le domaine de l'énergie ont également lancé un avertissement suite au refus de la commission. Du côté de l'ANC, on croit dur comme fer à des jours meilleurs dès que l'exploitation des puits de pétrole sera restituée à l'Etat. Certains partisans, «bien intentionnés», du refus ont vite fait de jeter des soupçons sur la réaction du gouvernement, en établissant un lien entre l'opposition de l'exécutif et le rapport professionnel du chef du gouvernement avec la multinationale Total. Ce refus n'est pas une mince affaire sans lendemain. Il faut sans doute craindre des suites fâcheuses, du moins pour un certain temps, notamment sur le budget de l'Etat et partant sur la situation économique et sociale déjà désastreuse . Sans doute aussi, sur la crédibilité de l'Etat auprès des investisseurs étrangers. Le refus de la commission parlementaire a été signifié pour causes d'infractions multiples signalées dans un rapport de la Cour des Comptes et concerne les permis «Borj El Khadhra», «Baguel» (Douz) et «El Franig» (Médenine). S'agissant de «Borj El Khadra», la commission a évoqué plusieurs infractions commises tout au long des 23 ans d'exploitation, au cours desquels la société a bénéficié de trois renouvellements et de sept extensions. Quant aux permis «Baguel» et «El Franig», la commission s'est basée sur le décret de 1985 fixant un plafond d'exploitation à 30 ans pour refuser la demande de prolongation de 15 ans formulée par la compagnie pétrolière franco-britannique Perenco. A noter que ces refus ont été précédés par deux autres concernant les permis «Amilcar» et «Zarat». Pourquoi maintenant ? Pourquoi ce refus maintenant ? Quel intérêt à ouvrir aujourd'hui un dossier aussi lourd qui nécessite des années pour être examiné dans les détails et dans les règles de l'art et assaini si besoin est ? Les critiques mettant en cause la politique énergétique de la Tunisie — certaines prétendent qu'il n'en existe même pas — et accusant l'Etat tunisien de mauvaise gestion des ressources du pays, depuis l'Indépendance, ne datent pas d'aujourd'hui et se sont fait entendre dès l'accession de la Troïka au pouvoir. Mais sans impact. Rien n'a été fait. Décider de bloquer les activités de ces compagnies aujourd'hui et prendre le risque d'aggraver la crise économique et sociale dans laquelle s'enlise le pays, relève-t-il vraiment du bon sens ? Nul doute sur le patriotisme des élus de la commission de l'énergie et de tous ceux qui comme eux s'opposent à l'exploitation injuste et abusive des richesses nationales, mais les décisions stratégiques ne doivent pas résulter des débats passionnés et encore moins partisans. Les révélations de M. Chafik Zenguire, président de la Commission de l'énergie et des secteurs de production, basées sur le rapport de la Cour des Comptes, sont graves : «La compagnie Britsh Gas qui exploite exclusivement le champ «Miskar», situé dans le Sud tunisien, est en train de vendre 48% de sa production à la STEG selon le cours mondial et en monnaies étrangères (devises). Et ajoute que la compagnie britannique doit à l'Etat tunisien 10% de ses bénéfices provenant de l'exploitation du gisement de "Miskar"» (50% de la production nationale de gaz naturel). Les révélations vont jusqu'à affirmer que 90% des prolongations de durée d'exploitation sont illégales et sont à l'origine totalement ou en partie du déficit énergétique du pays qui souffre d'une baisse de sa production (20%). Les pronostics estiment que l'exploitation de ces puits directement par l'Etap ou par sous-traitance ferait épargner des sommes colossales au pays en cette période difficile. Les partisans du refus, politiciens et experts, revendiquent à cette occasion la révision du code des hydrocarbures et des conventions pétrolières, ainsi que la transparence dans le traitement de ces dossiers habituellement confidentiels. Où est la vérité ? S'il y a polémique aujourd'hui, c'est à cause de l'absence d'information et de transparence. Or, vu le contexte difficile, cette affaire doit être tirée au clair au plus vite et avec le minimum de dégâts. Toute la lumière doit être faite sur ces accusations et s'il s'avère que la commission parlementaire a eu raison de refuser les prolongations, l'Etat doit prendre des mesures pour remettre de l'ordre dans cette affaire tout en préservant les intérêts du pays et ceux des partenaires étrangers. Les Tunisiens doivent aussi connaître la vérité sur les richesses du pays qu'elles soient limitées ou abondantes. Et des décisions stratégiques devront être prises dans le cadre de concertations multipartites loin des discours passionnés et démagogiques et des slogans creux. Car une chose est sûre : un tel chambardement ne sera pas sans conséquence sur le pays au moment où le pays s'enlise dans une crise lancinante et où les tiraillements et les querelles partisanes entretiennent l'angoisse et l'inquiétude des Tunisiens, au point de leur faire douter de l'utilité des élections. La désaffection des bureaux d'inscription de l'ISIE boudés par les électeurs en est la preuve. A croire que l'aveuglement et la surdité des politiciens n'ont plus de limites.