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Vers l'émergence de l'Etat stratège, partenaire de la société civile
Opinions - La refondation de l'Etat tunisien et la transition démocratique
Publié dans La Presse de Tunisie le 21 - 08 - 2014


Par Habib GUIZA *
En chassant Ben Ali du pouvoir, les Tunisiens (nes) ont clairement affirmé qu'ils n'acceptaient plus l'Etat autoritaire et despotique d'avant 14 janvier 2011 fondé sur le modèle monolithique centralisé en décalage total avec les sociétés plurielles, ouvertes, disposant d'une population instruite dont la majorité des jeunes sont des diplômés du supérieur. La gouvernance autoritaire qui faisait de l'écrasante majorité des béni-oui-oui ne pouvait plus fonctionner dans une société plurielle.
Depuis 2011, la majorité des Tunisiens (nes) ont manifesté une exaspération grandissante devant l'affaiblissement/démantèlement continu de l'Etat sur la base d'un rejet quasi systématiques de groupements actifs (béni-non-non) de toute formes d'autorité (des milliers de sit-in, des grèves sauvages, les surenchères politiques, la dégradation de l'économie nationale et de l'environnement, la détérioration de la situation sociale, l'insécurité, l'assassinat politique et le terrorisme, les nominations administratives abusives et arbitraires et l'exclusion des compétences, les structures parallèles (ligues de protection de la révolution, etc.)
Ce processus systématique d'affaiblissement/démantèlement de l'Etat tunisien depuis le 14 janvier 2011 continue d'avancer et mine la progression vers la démocratie car il n'est pas de démocratie viable sans Etat. Il est urgent d'arrêter ce processus et d'inverser la tendance.
Le processus de transition en cours a été focalisé sur les questions politiques (élaboration de la nouvelle Constitution et débats sur les règles du « vivre ensemble », fonctionnement du gouvernement transitoire, problèmes sécuritaires, élargissement, défense des espaces de libertés et de pluralité syndicale). Mais cette transition s'est effectuée dans une confusion des rôles entre les institutions de l'Etat, les partis politiques et les organisations de la société civile et l'exclusion d'une partie importante de celle-ci, tout en marginalisant des débats sur les urgences économiques et sociales ainsi que la réflexion sur le nouveau modèle de développement à mettre en œuvre pour rompre avec celui qui prévalait sous l'ancien régime.
A l'articulation entre processus politique et modèle de développement social et économique, on trouve l'Etat : de quel Etat la Tunisie a besoin pour que la transition s'oriente vers la démocratie ?
Au cœur de cette refondation, l'Etat doit évoluer dans son fonctionnement et dans son mode de légitimation, notamment en repensant son mode d'interaction avec la société et en redéfinissant son rôle (apprendre à interagir différemment, par-delà les lien hiérarchiques, avec les autres acteurs (société civile organisée, secteur privé, collectivités territoriales et les citoyens) .
C'est dans ce cadre que nous proposons de réfléchir sur l'Etat stratège partenaire de la société civile.
De l'Etat stratège
l'Etat stratège établit une distinction nette entre les fonctions stratégiques de pilotage (steering) des politiques publiques et les fonctions opérationnelles de mise en œuvre(rowing) de ces dernières. L'Etat stratège s'applique à conserver les fonctions stratégiques (direction, coordination, régulation, partage des ressources, contrôle, évaluation) et laisse la mise en œuvre des politiques publiques à d'autres acteurs (du secteur public, du secteur privé à but lucratif, du tiers secteur). Cette mise en œuvre peut donner lieu à divers scénarios, certains faisant appel à la simple exécution de politiques publiques, d'autres à des prises en charge par des organismes publics locaux qui ont une certaine autonomie.
L'Etat stratège se démarque de l'Etat tutélaire et de la conception classique de l'Etat interventionniste hiérarchique, centralisateur et entrepreneur issu des 30 Glorieuses, un Etat hiérarchique, contrôleur, bureaucratique, commandant, coercitif et autoritaire.
Il redéploie ses activités de direction stratégique tout en cessant d'être un Etat entrepreneur et opérateur et il ne se laisse pas absorber par les fonctions opérationnelles : il se centre sur les fonctions stratégiques.
Dans le contexte actuel de la Tunisie, la refondation de l'Etat est un enjeu majeur, elle est au cœur des changements à entamer pour garantir les conditions favorables à la réussite de la transition démocratique en recentrant l'Etat sur ses missions essentielles, celles de « stratège, garant de l'intérêt général et du bien commun», et en prenant en considération la perte de pouvoir de l'Etat, du fait qu'il n'est plus souverain sur son territoire et voit son pouvoir entamé par le haut de la mondialisation et par le bas au travers du triple processus de décentralisation, de déconcentration et de privatisation.
L'Etat doit être rénové, recentré, remobilisé autour d'objectifs clairs ; il doit être une force de veille et d'anticipation, il doit avoir une vision à long terme et porteur d'un projet d'avenir, élaboré avec tous les acteurs de la société, selon un processus participatif.
Encore faut-il à la tête de l'Etat, non seulement des managers, mais des stratèges, des hommes et des femmes qui ne se contentent point d'une gestion au fil de l'eau.
L'Etat stratège autoritaire
Les acteurs de la société civile sont là, mais dans une relation instrumentale plutôt que partenariale, comme l'Etat chinois, ou la Tunisie depuis l'indépendance. L'Etat tunisien post-indépendance a connu deux phases : un Etat-stratège sous Bourguiba (avec ses limites et ses échecs), qui s'est mis progressivement au service d'un pouvoir politique prédateur et attentatoire aux libertés pour former un Etat de type « libéral-prédateur-autoritaire ». L'analyse de l'Etat tunisien post-indépendance sera mise dans le contexte historique de la formation sociale tunisienne sur le long terme : un Mouvement moderniste tunisien avec une forte assise populaire grâce à son adossement au mouvement syndical et en lien avec les courants rationalistes de l'Islam national.
Cette formation sociale et sa dynamique depuis l'indépendance n'ont cependant pas empêché l'exclusion d'une partie de la population, laissée de côté dans sa demande sociale et identitaire. Cette exclusion s'est accrue avec le régime de Ben Ali. C'est cette partie de la population exclue qui a trouvé son expression dans le vote pour Ennahdha.
Au stade actuel du processus de transition en cours, la question de la refondation de l'Etat est et doit être au centre de nos débats.
Il nous faudra choisir entre une approche de type néo-libéral : un Etat stratège qui privilégie des relations avec des acteurs du marché du travail ( un Etat stratège binaire ) et un Etat stratège partenaire de la société civile : un Etat stratège tripolaire.
L'option néolibérale
C'est celle qui, sous l'influence de l'idéologie du nouveau management public (NMP), n'introduit que l'unique logique économique et instrumentale dans les modes d'organisation et de gestion du secteur public et évacue la valorisation des valeurs non monétaires. Elle vise à mettre les politiques à la remorque de la logique marchande.
Ce type d'Etat reflète un discours dominant, c'est celui qui convie l'Etat à développer des partenariats public/privé (PPP) et à suivre les prescriptions du courant dominant de la NMP. Ce discours dominant parle d'un Etat stratège, mais souvent inféodé à la régulation marchande et incapable de se laisser enrichir par des échanges avec les principes de la logique associative. Le problème avec les PPP, ce n'est pas que l'Etat accepte d'interagir et de délibérer avec les acteurs de l'économie de marché. C'est qu'il le fasse à l'intérieur d'une vision binaire qui n'exclue pas l'apport des acteurs de la société civile, notamment ceux de l'économie sociale, qui pourtant a permis de développer nombre de pratiques sociales novatrices ces dernières décennies partout dans le monde.
Dans la conjoncture internationale actuelle, nous pouvons mentionner deux facteurs qui favorisent l'Etat néolibéral et font obstacle à l'émergence de l'Etat solidaire partenaire de la société civile :
a) Le contexte international dans lequel est apparu le concept de l'Etat minimal est, entre autres, celui de la montée du courant de la mondialisation néolibérale sous l'égide des grandes institutions financières et politiques supranationales. Ce courant de pensée et d'action dominant sur la scène internationale a réduit de manière considérable les marges de manœuvre des Etats nationaux. Mais l'Etat concret de ce courant s'apparente à un Etat minimal qui abandonne ses responsabilités d'Etat régulateur aux lois du marché. C'est un Etat qui a renoncé à ses responsabilités sociales et recherche des relations partenariales seulement avec les acteurs socioéconomiques dominants de l'économie de marché. C'est un Etat qui a un fort penchant pour les opérations de privatisation et de déréglementation.
b) La théorie de l'Etat minimal, pour nombre de penseurs qui l'ont élaborée et de praticiens qui l'ont appliquée, a émergé dans un environnement idéologique et politique imprégné des prescriptions de la théorie plus globale du Nouveau management public (NMP) développée d'abord dans les pays anglo-saxons. Ces pays avaient donné le ton en lançant des réingénieries néolibérales au cours des années 1980, à l'époque de Thatcher, au Royaume-Uni, et de Reagan, aux Etats-Unis. Le problème avec le NMP, ce n'est pas qu'il prescrive la formule des « trois E » (efficacité, efficience, économie), ni qu'il préconise la gestion axée sur les résultats et non sur les processus, ni qu'il incite à s'inspirer d'innovations technologiques provenant du marché, ni même qu'il parle positivement des possibilités des partenariats public-privé (PPP). C'est qu'il fasse tout cela en se soumettant servilement à la culture marchande. Ainsi, il voit les réformes de l'Etat et des politiques publiques en s'inspirant uniquement des façons de faire de l'économie de marché, c'est-à-dire en privilégiant une régulation marchande qui valorise uniquement la compétition, la lucrativité et les économies d'échelle. C'est la principale critique qui ressort des études théoriques et empiriques des réformes de l'Etat et des politiques publiques inspirées du NMP.
L'idéologie du Nouveau management public (NMP) est critiquable et reprochable car elle introduit «une logique uniquement économique et instrumentale dans les modes d'organisation et de gestion du secteur public» et évacue la «valorisation des valeurs non monétaires».
Les pays les plus empressés à appliquer les prescriptions du FMI et de la Banque mondiale, dont la Tunisie à l'ère de Ben Ali, ont fait une erreur coûteus. Cette erreur a consisté à appliquer des programmes d'ajustement structurel qui ont amené l'Etat à abdiquer sa responsabilité régulatrice afin de s'en remettre à la logique marchande. Les résultats des réformes menées par l'Etat néolibéral tunisien des années 1990 ont été désastreux pour l'intérêt général de la population : «chômage des diplômés de l'université, disparité sociale, déséquilibre régional, corruption, baisse de l'investissement». Les politiques de régulation de l'Etat tunisien du temps de Ben Ali se sont avérées incapables d'encadrer les activités d'intérêt public transférées au secteur privé. D'où l'importance de tirer des leçons et de « renforcer la fonction régulatrice de l'Etat sur les services publics privatisés ».
La recette néolibérale hégémonique a été expérimentée, dans les années 1990 en Tunisie ( le « bon élève » et de la Banque mondiale et du FMI) a abouti à la crise du «modèle» néolibéral, modèle dépourvu de mécanismes d'inclusion et de justice sociale, ce qui nous permet de dire que «la Tunisie ne doit rien au néolibéralisme». Le soulèvement du peuple tunisien le 17 décembre 2010 dans une surrection citoyenne qui a abouti à la révolution du 14 janvier 2011, est une réponse à ce modèle libéral-rentier-prédateur du régime Ben Ali qui a été largement rejeté par la population tunisienne et qui s'est caractérisé par le chômage de masse, notamment des jeunes diplômés, des inégalités croissantes (inégalités sociales et régionales), le recul de l'investissement, l'alignement sur le capitalisme financier international et sur la division internationale du travail imposée par les pays développés, la prédation organisée aux sommets de l'Etat.
Le modèle proposé par le patronat tunisien après la révolution tunisienne présente des caractéristiques positives par rapport au modèle rentier précédent ; c'est un modèle libéral-productif qui instaure le travail comme source d'enrichissement et de promotion sociale. A ce titre, il constitue une rupture certaine avec le modèle précédent, car il instaure le travail comme valeur, en place de l'enrichissement par la proximité avec le pouvoir (par la rente). Cependant, prônant un Etat minimal, il reste dans une orientation libérale dont l'expérience internationale de ses 60 dernières années en matière de politique de développement dans le monde entier a montré qu'elle ne pouvait conduire ni au développement du pays ni à un équilibre social stable.
Vers un Etat stratège partenaire de la société civile
En fait, un Etat stratège qui aurait de l'envergure ne se contenterait pas de parler de PPP. Il parlerait de partenariats public / privé / tiers secteur (syndicats, associations, coopératives et autres entreprises de l'Economie Sociale), il valoriserait en particulier l'apport de l'Economie Sociale et Solidaire (ESS). C'est la proposition que véhiculent certains textes produits par des regroupements d'acteurs de l'ESS désireux d'intervenir dans le débat sur les PPP et le NMP.
Les configurations auxquelles il peut être associé sont multiples. Certaines configurations peuvent faire de la place à des alliances entre l'Etat et la société civile en conceptualisation de l'Etat stratège couplée à la visée de démocratiser les politiques publiques en recherchant la participation des acteurs de la société civile tant au moment de leur élaboration (coconstruction) que de leur mise en œuvre (coproduction).
Les nouvelles formes de gouvernance démocratique dans le domaine des politiques publiques en rapport avec les configurations innovantes peuvent résulter des interactions entre l'Etat, le marché et la société civile. Au niveau micro comme macro, en mettant en scène « la puissance publique », en interface avec les acteurs du marché et du tiers secteur, dans des communautés locales et dans des secteurs spécifiques d'activité collective, elles peuvent être résumées comme ce qui suit :
a- Les nouvelles formes de gouvernance concernées touchent les politiques publiques non seulement au moment de leur mise en œuvre (aspect organisationnel), mais aussi au moment de leur élaboration (aspect institutionnel); « la gouvernance réfère aux interactions qui s'établissent entre la société civile, le marché et la puissance publique », tandis que l'idée de gouvernement met l'accent, de manière plus autosuffisante, sur le rôle de l'Etat et des administrations publiques.
b- Mais dans cet équilibre entre Etat, Société civile et Entreprises lucratives, nous n'oublions pas que seul l'Etat a la légitimité démocratique car il est redevable devant les citoyens par les élections, tandis que les associations, les organisations de l'ESS et les entreprises lucratives n'ont de comptes à rendre qu'à leurs organes internes, sans contrôle par les citoyens. C'est pourquoi, on ne peut mettre sur le même pied ces trois types d'organisations : l'Etat demeure le garant du fonctionnement démocratique de l'ensemble de la société
L'idée d'interactivité suggère que les relations entre l'Etat, le marché et la société civile s'établissent non pas à sens unique, mais dans les deux directions. D'une part, l'activité de l'Etat a des effets induits sur le marché et la société civile. D'autre part, l'activité des acteurs du marché et de la société civile a des effets induits sur l'Etat ; d'où « la nécessité d'un rôle actif de la puissance publique » ou de l'Etat. Ce rôle passe moins qu'auparavant par l'usage de l'autorité et de la coercition. Dans le nouveau régime de gouvernance, la puissance publique recourt davantage au dialogue, au débat et à la délibération : « La négociation, la persuasion et l'incitation remplacent la coercition comme mode d'intervention publique ». Autrement dit, la puissance publique ne peut plus construire seule les politiques publiques. L'Etat a besoin de partenaires contribuant à leur coconstruction. Les acteurs politiques ou administratifs reliés à l'Etat ou à la puissance publique ont un rôle d'animateurs des processus interactifs avec des partenaires de la société civile. L'Etat est un partenaire, un facilitateur qui construit et applique des politiques publiques en mobilisant la participation d'une diversité d'acteurs et de réseaux de la société civile. Parmi ces acteurs à inclure pour démocratiser les politiques publiques, on peut mentionner au premier chef ceux qui proviennent du tiers secteur et appartiennent aux mouvances communautaires et aux initiatives de l'économie sociale et solidaire (coopératives, associations, mutuelles): « Il est clair, que les organisations d'économie sociale et solidaire constituent des réseaux d'engagement civique servant de base à l'action collective en vue de la production de biens publics ou à caractère d'intérêt général et, de ce fait, constituent des partenaires incontournables des processus de gouvernance ».
Il faut dépasser les cadres binaires Etat/marché ou privé/public. En préconisant une approche tripolaire qui se réfère aux interactions et interfaces mouvantes entre l'Etat, le marché et la société civile, nous ouvrirons des avenues nouvelles et prometteuses pour la théorie et la pratique. Mais il ne suffit pas de faire cohabiter l'Etat, le marché et la société civile pour se retrouver avec des dynamiques intéressantes dans le domaine des politiques publiques. Il faut aussi surveiller les configurations qui se tissent sur le plan des interactions qui se dessinent entre les logiques étatique, marchande et associative.
Nous proposons un système de gouvernance ( ou mode de régulation) qui résulte d'un compromis entre les trois systèmes de valeurs et principes : 1/ ceux provenant de l'Etat (redistribution et équité), 2/ ceux provenant du marché (efficacité et compétition) et
3/ ceux du tiers secteur (solidarité, réciprocité, don).
Nous proposons de passer d'une gouvernance concurrentielle axée sur la compétition entre les groupes d'acteurs à une gouvernance partenariale axée sur un compromis coconstruit avec l'apport de la plus grande diversité des acteurs et réseaux d'acteurs.
Pour soutenir ce type de gouvernance partenariale, il faut la création, la consolidation et l'utilisation d'espaces de médiation où peuvent se faire les délibérations, les dialogues, les recherches de compromis s'inscrivant dans la ligne de l'intérêt général, c'est-à-dire qui permettent de dépasser les intérêts particuliers en se référant à des lieux où peuvent se rencontrer les acteurs politiques et les acteurs sociaux, les représentants de la démocratie représentative et ceux de la démocratie participative. Cette jonction fait surgir la démocratie délibérative.
Pour construire des politiques publiques qui vont dans le sens de l'intérêt général, l'Etat stratège doit inclure dans la délibération une diversité d'acteurs qui couvrent tous les champs de la société : les acteurs liés au marché du travail, ceux qui émanent de la société civile, et ceux qui viennent des entreprises lucratives. Dans une perspective d'économie plurielle, les principes et valeurs de l'économie de marché sont reconnus par l'Etat, mais ne sont pas les seuls. La logique de l'économie de marché doit accepter d'entrer dans la négociation de compromis avec la logique associative de l'économie sociale et la logique redistributive de l'économie publique.
Un Etat actif, mais étroitement associé à la société civile, capable de développer le potentiel de la production nationale, fortement centré sur le social, décentralisé dans une grande partie de son action développée au niveau régional et local, totalement transparent, disposée à rendre des comptes et sujet au contrôle social », en valorisant l'interactivité et la délibération.
La coproduction favorise l'apport des acteurs de la société civile dans la mise en application des politiques publiques. En ce sens, elle recherche clairement une problématique alternative à celle de la privatisation ainsi que l'apport démocratique de certaines ONG et coopératives c'est à dire des composantes de l'économie sociale et du tiers secteur — dans la coproduction des politiques publiques.
Les structures coopératives autogérées par des communautés de base pour la livraison de services publics constituent probablement la forme d'expression maximale de l'influence citoyenne sur l'administration publique.
Les coopératives, les ONG et d'autres organismes sans but lucratif guidées par la logique de la solidarité sont capables de participer à une coproduction de politiques et de services publics alternative à la pratique actuelle dans laquelle les acteurs du secteur public s'associent à des « réalités [privées] guidées par la logique marchande ».
Dans le cadre de trois scénarios ou formes de régulation des services publics : 1) une régulation étatique, lorsque l'Etat confie la gestion des services d'intérêt public à des organismes publics; 2) une régulation marchande, lorsque l'Etat confie la gestion des services d'intérêt public à des organismes privés à but lucratif ; 3) une régulation solidaire, lorsque l'Etat confie la gestion des services d'intérêt public à des organismes à but non lucratif, ce qui permet de transiter d'une problématique bipolaire (public/privé) à une problématique tripolaire (Etat/marché/société civile). Elle aide à sortir d'un menu restrictif dans lequel il faudrait faire un choix entre l'Etat hiérarchique et non stratège, d'un côté, et l'Etat stratège, mais néolibéral de l'autre.
Comment transformer les politiques publiques sur le plan local. Tant sur le plan théorique qu'empirique en s'inspirant des expériences de pouvoirs publics locaux, principalement municipaux, qui cherchent à innover en traduisant, sur le territoire local, le modèle de l'Etat stratège partenaire des acteurs du marché et de la société civile.
Nous faisons référence, notamment, aux expériences de budgets participatifs dans la ville de Porto-Alegre et d'autres grandes et moyennes municipalités du Brésil. Mais le Brésil n'est pas le seul pays d'Amérique latine où des gouvernements locaux cherchent à développer des pratiques d'Etat stratège partenaire d'une plus grande diversité d'acteurs socioéconomiques du marché et de la société civile dont les acteurs de l'économie sociale. Des expériences sont menées dans tous les pays du monde, en Afrique, en Asie (y compris en Chine), dans d'autres pays d'Amérique latine (notamment en Argentine), en Europe et en Amérique du Nord. Une municipalité comme Rosario, la troisième ville de l'Argentine, constitue laboratoire à cet égard, notamment dans le domaine des services collectifs touchant la distribution de nourriture et de vêtements, la collecte des ordures, etc.
Dans notre vision de l'Etat stratège en partenariat tant avec les acteurs de la société civile qu'avec ceux du marché, l'interaction et la délibération dont l'importance ont été soulignées sont compatibles avec le fait que l'Etat, en dernière instance, demeure animateur ou arbitre du processus délibératif. Cela veut dire que l'Etat n'est pas tout à fait un acteur au même titre que les autres : s'il doit renoncer à l'usage exclusif de la coercition pour construire seul ses politiques, il est nécessaire qu'il conserve sa capacité de trancher, mais il doit le faire d'une manière qui ne lèse pas la coconstruction.
En terminant cette rapide synthèse qui alimente notre vision théorique, nous nous interrogeons sur le statut de l'Etat dans sa nouvelle conception ( l'Etat et de la puissance publique) qui travaillent avec les acteurs de la société civile de manière interactive et partenariale, qui n'est plus l'Etat hiérarchique, coercitif et centralisateur.
En résumé, l'urgence est à l'élaboration d'un modèle d'intégration sociale, qui met l'équilibre et la justice sociales au cœur de la stratégie de développement, tout en respectant les impératifs d'efficience économique, avec l'appui d'un Etat stratège proposant aux acteurs, sociaux et économiques (syndicats patronaux et ouvriers et organisations de l'économie sociale et solidaire), une vision de long terme pour la société, et assurant la coordination de ces acteurs autour de cette vision partagée. L'Etat stratège n'intervient qu'exceptionnellement comme acteur économique direct. Par contre, par la coordination qu'il instaure entre tous les acteurs, il aligne les intérêts particuliers sur l'intérêt général à long terme du pays. En outre, il crée les conditions pour que le financement de l'économie soit majoritairement le fait de l'épargne nationale, et ne recoure aux marchés financiers mondiaux qu'exceptionnellement : chaque pays, chaque société doit pouvoir financer son développement en interne. Ce modèle social et économique met également le travail au cœur de la création de richesses et de la promotion des individus. Il l'institue comme valeur, en décourageant fortement les comportements rentiers.
En outre, ce modèle doit impérativement prendre en compte l'intérêt général de tous les segments de la société, pour aujourd'hui et pour les générations futures : il s'agit bien d'élaborer un modèle de développement durable, prenant en compte la rareté des ressources naturelles et réduisant les pollutions de toutes sortes.
A ce stade, il convient d'approfondir la réflexion sur cette option, pour favoriser l'ouverture du débat sur les thèmes sociaux et économiques qui ne manqueront pas de surgir dans le champ politique tunisien, avec les prochaines échéances électorales notamment. On notera que des alliances ponctuelles pourraient s'opérer entre les tenants d'un modèle d'intégration sociale et ceux qui soutiennent le modèle libéral-productif, l'objectif étant d'éviter à tout prix le retour du modèle libéral-rentier-prédateur.
Nous espérons vivement que nos travaux (au cours de cette université d'été et au-delà) serviront à jeter les fondements d'une approche nouvelle et novatrice susceptible de répondre à une question fondamentale qui, pour l'instant, demeure largement mésestimée et qui, pourtant, constitue, à nos yeux, la pierre angulaire d'une véritable transition démocratique en Tunisie.
A noter que la refondation de l'Etat tunisien est le thème de débat et l'enjeu de l'université d'Eté de l'ACMACO qui aura lieu du 22 au 24 août 2014 dans un hôtel à Gammarth.
* (Président de l'Assocition Med Ali de la culture ouvrière (ACMACO) / SG - CGTT)


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