Un des titres de la place vient d'annoncer, en exclusivité, la candidature de Béji Caïd Essebsi à la prochaine élection présidentielle du 23 novembre. Une nouvelle au demeurant prévisible et attendue, donc sans surprise, même si certains analystes n'écartaient pas la possibilité de son retrait au profit d'un autre candidat moins enclin au déchaînement des passions. Car, tout en occupant la première place des sondages relatifs à la présidentielle, ce qui signifie une forte cote de popularité, Caïd Essebsi fait l'objet de menaces d'assassinat à répétition, plus que toute autre figure politique d'après la révolution. Depuis deux jours, suite à une nouvelle alerte, le dispositif de garde rapprochée a été renforcé. Idem pour Hamma Hammami, compagnon de route des deux martyrs de la révolution : Chokri Belaïd et Haj Mohamed Brahmi. En pleine campagne de dépôt des candidatures des listes électorales, dernière ligne droite du processus démocratique tunisien, cette nouvelle menace d'assassinat contre des leaders politiques paraît incongrue, injustifiée. La vague de violence qui a miné l'époque de la Troïka s'étant apaisée, des menaces de mort contre des hommes politiques n'ont apparemment plus de raison d'être aujourd'hui, surtout que la guerre contre le terrorisme est une guerre totale et générale, impliquant chaque Tunisien. Pour déstabiliser le pays et le processus électoral... Alors, pourquoi Béji Caïd Essebsi et pourquoi Hamma Hammami ? Pourquoi eux et pourquoi maintenant ? Du côté de Nida Tounès, on soutient que l'environnement électoral n'est pas tout à fait «clean», que les élections vont se dérouler malgré tout mais « dans des conditions très difficiles ». La feuille de route, issue du Dialogue national, n'ayant pas été appliquée à la lettre, comme au sujet de la révision des nominations dans les administrations. La conséquence est, entre autres, le désintérêt latent des électeurs : « Toute une bataille pour inciter les électeurs à s'inscrire, pour arriver finalement à moins d'un million de nouveaux inscrits »... Nida Tounès est le parti le plus ciblé par la violence politique et son leader, poursuit-on, est la personnalité la plus attaquée sur tous les fronts... On se souvient encore des appels au meurtre de Bousarsar et le lynchage de Lotfi Nagdh, sans oublier les attaques de salafistes contre les meetings de Nida dans différentes régions du pays. Du côté de Nida, le message est clair : «Déstabiliser le parti et le pays car, d'une part, Caïd Essebsi est un homme d'Etat qui a joué un grand rôle à toutes les étapes difficiles de la transition et du processus démocratiques et, par ailleurs, un autre assassinat politique ferait chavirer le pays vers l'inconnu». La dernière menace de mort n'est pas isolée, semble-t-il, puisque l'on affirme à Nida que les attaques sont également perpétrées sur le web à travers le piratage des communiqués publiés par le parti afin d'en déformer le contenu, ou encore à travers la campagne de dénigrement qui a fait suite au don d'un pays arabe de deux véhicules blindés et que le président du parti « n'a jamais réceptionnés mais qu'il a offerts d'office à l'Etat ». Prendre au sérieux ces menaces ? Oui. Car il y a eu «Chaâmbi», qui a sapé la saison touristique alors que celle-ci a été minutieusement préparée. Et il y aura la rencontre des Amis de la Tunisie, en septembre, ainsi que les élections législatives et présidentielle : deux événements que les forces occultes qui tirent la Tunisie vers l'arrière ne voudront pas voir aboutir. Après les assassinats de Belaïd et de Brahmi, tout est possible La même perception de ces menaces et la même vision de leur impact sont relevées du côté du Front Populaire. M. Jalloul Azzouna, parti populaire pour la liberté et le progrès, n'en démord pas : «Ces menaces cherchent à chambarder le processus électoral démocratique que nous bâtissons. Pourquoi le Front Populaire et Hamma Hammami ? Rien d'étonnant puisque des menaces on est passé à des assassinats, dénoncés publiquement et alertés par la CIA. Mais, «on a laissé faire». Cette menace réelle et continue montre, encore une fois, « que des forces rétrogrades craignent le FP et ce qu'il représente... Le FP poursuivra le chemin qu'il s'est tracé, indique encore M. Azzouna, envers et contre tout, afin de concrétiser les objectifs de la révolution et contribuer à la construction d'une Tunisie plurielle, démocratique et moderniste... Hamma est le symbole de ce front et, s'il est une cible, c'est parce qu'il est la voix forte, comme ses deux camarades martyrs, qui dénoncaient les faux prophètes détenteurs du discours de la haine et porteurs de sang et de mort. Les Tunisiens ont un fort degré de conscience de la réalité, affirme Jalloul Azzouna, ils sauront vouer ces forces rétrogrades aux bas-fonds de l'Histoire. M. Alaya Allani, en spécialiste des questions islamiques, analyse la situation avec beaucoup de recul et de philosophie. « Ces menaces peuvent être réelles avec, en arrière-plan, un projet d'assassinat réel, mais elles peuvent également être de type... médiatique !». Pour l'expert, les hommes politiques sont toujours visés par ce genre de menaces, surtout en période de transition démocratique, si bien que celles-ci peuvent aussi viser la conjoncture électorale et les élections, en l'occurrence. L'objectif recherché, dans ce cas, est un choc psychologique sur les électeurs, afin de les dissuader d'aller voter le jour J. Pour certains, cette tactique relève de la guerre... électorale. Malgré tout, M. Allani reste prudent. Il révèle qu'il a lui-même alerté les autorités que des actes terroristes étaient possibles à l'approche des élections... Et, dit-il, nous sommes aujourd'hui à moins de deux mois des élections législatives.