Par M'hamed JAIBI Simple «spectacle affligeant», comme le présentent des observateurs indulgents, ou désastre sans pareil sapant les valeurs et la symbolique de la République démocratique, ce que nous voyons comme péripéties déprimantes à l'Assemblée, à l'occasion du «débat» sur la loi contre le terrorisme, n'est vraiment pas de nature à valoriser les institutions de l'Etat moderne auquel s'attachent les Tunisiens, ni à magnifier le fonctionnement démocratique que la Révolution de la liberté et de la dignité leur a si fièrement apporté. Décrédibilisation de la République... Nous assistons tout bonnement, jour après jour, et sans que personne ne soit en mesure d'y mettre le holà, à une authentique décrédibilisation de la République, de la démocratie parlementaire, de la souveraineté populaire et de l'Etat civil. Puisque sur une question que tout le monde s'accorde à considérer comme vitale, nécessitant un traitement le plus urgent et le plus rapide, non seulement on orchestre pernicieusement le désaccord, mais on instaure l'irrecevabilité technique par l'absence et le non-contrôle des députés des divers bords. Ces mêmes députés qui ont accepté quelques mois plus tôt, pour certains, la mort dans l'âme, de destituer leur gouvernement majoritaire afin de sauver le pays, seraient aujourd'hui incapables d'aligner 109 voix pour éradiquer le terrorisme et l'argent sale qui l'alimente. À quoi servent les groupes parlementaires, d'habitude si soudés et disciplinés, et que fait l'adroit Dialogue national que nous avons vu à l'œuvre, conciliant les extrêmes et ralliant les contraires, à l'image de son Quartet de virtuoses de la diplomatie politique ? Ne peut-on pas reprendre du service pour sauver de nouveau le pays, cette fois d'un danger malin qui menace de tout emporter ? Le pays est en guerre Il n'est plus question de compter les absences des députés ou de les punir par l'affichage. L'heure est venue de mettre les consciences à l'épreuve, voire à l'index, pour ne pas avoir, un jour, à parler, sous la contrainte des événements, de désertion ou de trahison. Aujourd'hui, le pays est en guerre. C'est la mobilisation générale! La mobilisation militaire et sécuritaire, déjà acquise, mais aussi la mobilisation civile des institutions, des forces nationales et des citoyens. Et en premier lieu de leurs élus, les députés de l'Assemblée nationale constituante. Ceux qui sont fiers d'avoir fait la Constitution démocratique que réclamait le peuple tunisien. Cette guerre exige de mettre en place le dispositif de défense et de prévention le plus performant et tous les outils juridiques et institutionnels nécessaires à son fonctionnement. Nous sommes aux prises avec un gigantesque iceberg, avec une pieuvre monumentale à mille têtes disséminées de par le monde, dont les innombrables tentacules s'étendent dans la pénombre et se tortillent pour étrangler et étouffer nos organes vitaux. Se concerter solennellement... Dans ce décor macabre s'apprêtant à semer à tout vent chez nous la terreur et la haine, le chaos auquel nous assistons dans l'hémicycle ressemble à un abandon, à une démission complice, à une non-assistance à peuple en danger, à une compromission fortuite ou de fait avec l'ennemi, le terrorisme. De Daech à Al Qaïda, en passant par Ansar Echaria, celui-ci nous observe et se régale face au spectacle de déconfiture que nous offrons, sous couvert de débat démocratique pluraliste, de quorum non atteint et d'attachement irraisonné aux droits de l'Homme. Le souci légitime d'éviter les punitions collectives et de faire la preuve de la culpabilité de tout suspect, ainsi que de garantir pleinement les droits de la défense pour tout citoyen, ne doit aucunement nous empêcher de combattre frontalement et sans détour ceux qui se sont organisés sciemment pour nous massacrer, qui se sont entraînés pour cela, qui amassent les armes les plus terribles dans ce but et qui fomentent les plans et les stratagèmes pour instituer l'arbitraire, faire couler le sang, faire régner la barbarie et détruire tout sur leur passage. Un sursaut qualitatif, une sorte de coup de fouet s'impose désormais et est attendu par tous. Il est temps que les états-majors des différents partis politiques du pays se concertent solennellement et assument leurs pleines responsabilités. L'urgence prime la forme. Ils se doivent de se retrouver solidairement et sans faille dans une initiative de dialogue au sommet autour d'une reprise en main de l'initiative en matière de lutte contre le terrorisme, par l'établissement d'une urgente stratégie commune et d'une législation de combat cohérente et efficace, qui sache conforter l'action du gouvernement en la matière, et mettre immédiatement fin à ce désolant spectacle.