La contrebande et le commerce parallèle font des ravages dans le pays. Le manque à gagner pour l'Etat en matière d'impôts et de taxes se chiffre en milliards de dinars. Mais l'inquiétant dans tout cela est ce laisser-aller de l'autorité qui refuse d'assurer son rôle. Il est aujourd'hui une réalité qu'on ne peut feindre d'ignorer : la contrebande et le commerce informel prospèrent et gagnent des pans entiers de l'économie tunisienne, alors que l'Etat s'appauvrit et dans son sillage les salariés, toutes catégories comprises. L'Etat, pour renflouer les caisses, fait supporter le fardeau à la classe laborieuse. On lui fait payer les pots cassés d'une autorité qui n'a pas le courage d'exercer son droit à faire respecter la loi pour, au moins, canaliser ce flux ininterrompu de marchandises qui franchissent les frontières terrestres et maritimes. Ces marchandises sont dédouanées de fait, leur écoulement échappe au moindre contrôle. Elles sont par conséquent exemptes de toute taxation! Le manque à gagner pour l'Etat est d'environ 6 à 7 milliards de dinars, selon les estimations les plus généreuses, car, quand le gouvernement reconnaît que le commerce parallèle représente plus de 40% de l'économie du pays, on peut estimer que les taxes y afférentes rapporteraient davantage. Cette manière de gérer les affaires du pays ne cadre pas avec l'abc d'un Etat qui se veut moderne et juste envers tous ses citoyens dont ceux respectueux de la loi et des institutions sont pénalisés. La contrebande a toujours existé, le commerce parallèle aussi, mais pas à ces niveaux atteints au cours des trois dernières années. Les étals anarchiques occupent tous les espaces de nos villes et villages, il n'y a presque plus de rues carrossables, plus de trottoirs partout où vous allez. Et excusez du peu, tous ceux qui s'adonnent à ces activités illégales —je le souligne fort— sont des bandits formant de véritables gangs qui ne reculent devant rien. Nos villages et quartiers populaires sont sur une véritable poudrière avec ces vendeurs de carburant qui ont essaimé partout et qui stockent leurs marchandises dans des dépôts de fortune au milieu des habitations et qui les exposent sur les bas-côtés et les trottoirs. Ils font des fortunes, leurs fournisseurs aussi. Et ce ne sont pas les quelques saisies douanières médiatisées qui vont arrêter ou tout au moins ralentir ce phénomène. Un chaos sans précédent ! Véritable gabegie dans un pays —qu'on se le dise clairement— qui fut il y a quelques années un exemple qu'on cite dans son voisinage pour le civisme de ses citoyens et le respect que ces derniers vouent aux symboles de l'autorité même si c'était sous l'effet de la crainte et de la contrainte. Cela va en s'amplifiant, balayant le peu qui reste de ce que fut l'Etat, aujourd'hui incapable d'asseoir son autorité pour remettre de l'ordre dans le pays et engager l'économie sur la voie du redressement. Avec la contrebande et le commence parallèle, point de croissance et de redressement dans plusieurs secteurs concurrencés déloyalement par cette gangrène qui ronge la plupart des rouages de l'économie. Ce n'est ni l'investissement extérieur ni intérieur qui vont sortir la Tunisie de la crise. C'est l'ordre et l'application de la loi qui en sont les garants. Dans un Etat de droit l'ordre rime avec justice, car avec le désordre qui règne dans le pays, il y a une injustice criarde entre ceux qui en profitent et ceux qui le subissent à tous points de vue. De l'injustice du désordre! Les hors-la-loi mettent à sac le pays. Ils règnent en maîtres absolus sur des secteurs entiers de l'économie sans que l'autorité réagisse. Nous avons aujourd'hui en Tunisie de véritables barons qui constituent une menace réelle pour l'avenir de nos enfants. Ils ne reculeront devant rien pour que cet état de chaos persiste. Ils ont infesté de manière dangereuse l'économie avec cette contrebande qui sillonne le territoire de la République. Ils s'enrichissent au vu et au su de tous. Ils achètent des immeubles, des terrains, des fonds de commerce avec souvent des prête-noms. Ils roulent dans des voitures qui font peur sur la route avec leur allure de vrais caïds. Ils n'est pas exclu que beaucoup d'entre eux soient trempés dans le passage des armes en provenance de Libye devenue source de préoccupation et de danger pour son voisinage. En grande partie, la contrebande se fait vers et en provenance de ce pays. Depuis très longtemps, certes mais pas au rythme actuel. Tout cela se fait au détriment de l'Etat et des citoyens. Ces derniers croulent sous le fardeau que leur fait subir le pouvoir qui n'a pas trouvé d'autre moyen pour résorber son déficit que de leur faire payer la facture de sa déliquescence face au désordre économique qui le met à sec. Ces citoyens payent leur impôt rubis sur l'ongle, il est prélevé à la source, ils payent leurs prêts au millime, leurs salaires sont domiciliés auprès des banques créditrices. Ils ne peuvent se permettre de faire les bandits pour refuser d'honorer leurs factures de consommation d'eau courante et d'électricité, dont l'envol des prix est sans précédent. Pis encore, une bonne partie de ces salariés vont contribuer au renflouement des caisses de l'Etat avec cette décision de leur prélever des journées de salaires sur leurs traitements. Même les retraités ne sont pas épargnés par cette mesure. Qu'est-ce qu'ils en ont vu ces gens-là qui ont cru avoir bâti un Etat et voilà que tout s'écroule devant eux, par la faute de ceux en qui le peuple a mis sa confiance pour gérer ses affaires. Ils n'ont fait que saper les assises de cet Etat pour le rendre impotent et incapable de sévir face à cette délinquance des bandits de grand chemin qui ravagent le pays. Ils l'ont miné de partout pour le rendre vulnérable et impuissant avec tout ce que cela comporte comme danger pour l'avenir très proche de ce pays. Cela étant et pour conclure, si l'Etat avait choisi cette voie, celle de la politique de l'autruche, ce n'est pas aux bons citoyens de payer ses erreurs, voire ses errements. Si l'Etat s'appauvrit, c'est qu'il a choisi de s'appauvrir en refusant de s'attaquer aux sources du mal. Toutefois, il n'a pas le droit d'entraîner dans la misère ceux qui sont en règle à tout point de vue.