Une tournée estivale des plus réussies, un nouvel album et un franc succès dans le monde arabe, la carrière de Saber Rebaï se résume en quelques mots : travail, endurance et des choix commerciaux et artistiques dans l'air du temps... Votre dernier spectacle à Carthage remonte à 2012, mais cette année il s'agit de toute une tournée en Tunisie. Comment évaluez-vous votre rapport avec le public aujourd'hui? C'est un public qui m'a donné des ailes! Et pourtant, ce n'était pas évident dans la conjoncture actuelle qui caractérise, malheureusement, notre pays, avec le stress que les gens subissent et le prix des billets assez cher pour mes spectacles. Quand je vois le public venir en nombre partout en Tunisie, c'est très gratifiant pour moi. C'était la même chose en Algérie. Cette année, c'est le public qui a créé la réussite. Pour moi, le public tunisien reste un juge très important. Carthage, c'était le gros lot qui m'a beaucoup stressé en termes de préparation, mais ça m'a permis également de voir ma soirée autrement grâce aux gens qui m'ont entouré. C'est une soirée où on a placé la barre très haut. Vous êtes dans le star-système arabe et certains vous le reprochent. Comment vous le considérez aujourd'hui ? Peut-il sincèrement servir la chanson et les artistes arabes? Notre star-système arabe a sa propre spécificité. Et on devait la travailler tout en gardant un lien avec le côté international. Je dirais que j'ai essayé de donner un goût de cette spécificité dans mon spectacle à Carthage. C'était nos couleurs sans tomber dans «l'arrabiata» mais en s'approchant de l'international. Les gens ont besoin de temps pour comprendre cette nuance. Le monde arabe doit saisir cette conception selon laquelle on est capable de faire un élan vers l'avant qui nous place honorablement sur la scène internationale. Je vous cite l'exemple d'une chaîne italienne, en l'occurrence Rai Uno, qui a parlé de mon spectacle et c'est cela le but recherché dans ce nouveau concept. Il faut se positionner honorablement au niveau des médias internationaux, car cela nous permettra de prendre un petit mètre carré dans l'arène. Donc, j'estime que le star-système arabe peut nous être utile (sur le long terme) et servir notre rayonnement sur le plan international si on y croit. Cela prouve que vous pensez beaucoup à votre carrière internationale. Ne risquez-vous pas de perdre votre place dans l'histoire de la chanson tunisienne? Mon rêve c'est qu'un jour les générations futures entendront nos chansons et en feront des cocktails comme je l'ai fait avec Ali Riahi. Cela fait partie de mes objectifs. Oui, mais comment faites-vous pour garder vos traces dans la chanson tunisienne si vous vous dispersez dans l'international? Ce n'est pas du jour au lendemain qu'on peut garder sa trace. Actuellement je peux vous affirmer que je ne suis pas encore arrivé à ce point-là. C'est vrai qu'en termes de notoriété je suis bien servi ainsi qu'en terme de rapport entre le public et moi, mais j'ai encore du chemin à faire. C'est vrai qu'il y a eu quelques moments qui m'ont lié à la chanson tunisienne tels que Sarkha, Ommi ou Andaloussiat qui restent gravés dans la mémoire. C'est pour moi des moments très forts! Mais ce n'est pas fini il faut travailler davantage. Cela dit je veux insister sur le fait que je n'ai pas oublié mon côté tunisien. C'est même mon fer de lance! Oui, mais certains expriment leur crainte que cette voix tunisienne s'esquive sur la voie du star-système ou qu'elle se compare à des Ragheb Allama et compagnie! C'est vrai que cette crainte est justifiée. Sans rien vous cacher cette crainte me saisit parfois moi-même. Mais je suis parfaitement conscient de cet aspect des choses. Cela dit, en Tunisie, on n'a pas d'industrie dans ce domaine. La soi-disant industrie dans le monde arabe existe mais avec des obligations imposées par ceux qui signent les contrats. Si je joue le jeu en mettant de côté toute considération sur le bénéfice matériel, et en gagnant chaque jour un public nouveau, ces mêmes gens sauront un jour qu'ils ne peuvent plus m'imposer quoi que ce soit. Je joue sur le long terme et je mets le temps de mon côté. Et ça peut donner des fruits comme avec Sarkha, Barcha barcha, Dalloula. C'est vrai qu'à un certain moment, quand je suis parti en Egypte j'étais obligé de chanter en égyptien, mais maintenant j'ai mon public panarabe et le problème ne se pose plus. Quand vous chantez le «khaligi» on aimerait bien vous voir au niveau de Mohamed Abdou et Talel Maddeh plutôt que dans un autre registre... Pourquoi ne pas en arriver à ce stade-là. C'est d'ailleurs l'un de mes objectifs. C'est vrai qu'aujourd'hui on doit suivre ces grosses pointures... Certains disent que le public vous applaudit et que la scène culturelle tunisienne vous pleure? Je suis content de les entendre dire ces mots, car s'ils ont dit cela c'est vraiment par amour! Et je comprends leurs craintes. Je voudrais leur répondre que personne ne peut m'imposer quoi que ce soit et me faire dévier du chemin que j'ai tracé. Je dis cela en toute fierté. J'espère que je vais continuer sur le chemin de l'art, mais j'espère aussi ne pas en être dégoûté un jour à cause de certaines personnes qui veulent nous ramener des années-lumière en arrière.