Et si un jour le dromadaire se réveillait avec des idées politiques qui militent pour la République des animaux ! Linguistiquement, il y a de quoi faire «bonne chair», comme le disait si bien Rabelais. Et du Rabelais on en trouve un peu de ce trait exagéré de ces personnages «surcroqués», cartoonesques et de ces ébats et ces débats pleins de trouvailles avec la langue française. Car le nouveau livre de Khmaïes Khayati est une fable attachante écrite avec un style narratif propre au genre et où l'auteur s'en donne à cœur joie avec des néologismes et des phrases dont la tournure syntaxique nous sort de la narration habituelle. C'est peut-être ce style hérité des fabliaux qui a permis à Khmaïes Khayati de «s'éclater» avec les mots et les figures de style. La phrase est frémissante, hilarante bien «verbée» et quelquefois bourrée de cynisme. «Le tapuscrit de la morte plaine : quand dromadaire devint carnivore» aux éditions Perspectives, nous transporte dans le règne animal. Une fable à l'ancienne avec des idées modernes et l'auteur ne manque pas d'exprimer sa reconnaissance au début du livre à Aboul Ala Al-Maârri, Al Jahiz, Abu El Faraj Al Asfahani, Alphonse Daudet, Dante, Dino Buzatti, La Fontaine, Rabelais et Voltaire pour ne citer que ceux-là de la longue liste qui ouvre le livre. D'ailleurs, ont retrouve un peu de toutes ces traces dans le livre que l'auteur a voulu universel, tout en partant d'une petite contrée située dans le quart désertique et qui porte le nom de «La perle verte». Un jour, le jeune dromadaire «Baal», surnommé aussi «l'inventif», après avoir longtemps séjourné dans une autre contrée, débarque auprès des siens à «La perle verte». Mais voici qu'il est chargé de nouvelles idées «importées» et qui consistent à instaurer une République animalière où les animaux ne se dévoreraient plus et qu'ils vivraient en paix en se nourrissant de plantes. Mais la proposition ne plaît pas au renard «Al makir», au Baron Tigre et au Mufti crocodile (habitués à se nourrir de chair et de sang) qui tentent de convaincre le roi que les idées de ce dromadaire sont une menace pour la «dynaucratie animalière». Mais le dromadaire Baal tenait mordicus à ses idées et tente de convaincre le peuple des ruminants. «Cette loi des mercenaires aux canines acérées (...) s'occupe de faire respecter l'ordre. En revanche, les siens étaient toujours lorcefés, écornés, chourinés et baudrillés à merci. C'est quoi le «Sayram» dont toute la plaine rêve et craint à la fois si ce n'est un cérémonial qui fait du dromadaire particulièrement, mais aussi de tout animal inoffensif, le pilier de tout acte sacrificiel offert sur l'autel du Grand Tout, au nom et au profit d'un seul?» Une vraie révolution dans le monde animalier que «animal du bien des autres animés» tente de lancer. Une fronde qui opposera le monde des carnassiers au monde des herbivores. Et puis le récit continue à rouler toujours hilarant et léger jusqu'au bout de cette fable au dénouement, ô combien, réaliste et symbolique. Un récit que le narrateur rapporte à partir d'un «tapuscrit de la morte plaine» qui raconte cette fabuleuse marche animalière vers la démocratie. Le choix du genre par Khmaïes Khayati nous ramène vers les grandes traditions de «Kalila wa dimna» et de La Fontaine avec des accents fort rabelaisiens. C'est le point qui a permis à ce livre de ne pas tomber dans le discours fortement mâché et remâché qui a fini par agacer les lecteurs. Khmaïes Khayati a préféré laisser cela aux ruminants, semble-t-il, pour retourner à un genre certain qui a toujours su retenir le lecteur par cette espèce de regard qu'on porte discrètement sur la part animale en chacun de nous.