Deux casse-tête : les signatures et l'argent sale On s'attendait à une ruée vers l'Isie des candidats à la présidentielle pour déposer leurs dossiers dès le 8 septembre. Mais après Larbi Nasra et Hechmi Hamdi, les premiers à pointer à la première heure, l'opération a été plutôt lente, surtout les premiers jours. Cette deuxième et dernière semaine est un peu plus animée, les dépôts se succèdent à un rythme relativement plus soutenu. Le dernier délai étant fixé au lundi 22 septembre à minuit. Jusqu'à hier, environ une dizaine de candidats, sur plus de quarante, ont déposé leurs dossiers. Aujourd'hui, quatre autres au moins sont attendus au siège de l'Instance, dont Moncef Marzouki, Kamel Morjane et Kalthoum Kannou. La lenteur de l'opération de dépôt des candidatures a ses raisons que seuls les candidats « retardataires » savent et expliquent en avançant deux raisons essentielles : les 10 mille signatures à recueillir auprès des citoyens nécessitent beaucoup de temps et de déplacements et l'argent sale a perturbé le déroulement normal de l'opération. Les barrons de la corruption ne lâchent pas prise Lazhar Bali du parti Al Aman, qui va déposer sa candidature le dernier jour, soit lundi prochain, en sait quelque chose : « Beaucoup de listes de grands partis risquent d'être rejetées, les signatures ont été collectées par téléphone ; des partis politiques parmi les plus grands ont eu recours à cette pratique, nous avons des preuves que l'argent sale coule à flots; nous nous taisons parce que nous ne voulons pas interrompre le processus électoral ». Et de poursuivre : « On m'a proposé d'acheter mille signatures à Nabeul, huit cents à Mahdia, mais j'ai refusé ; j'ai pu collecter plus de dix mille signatures en allant vers les citoyens dans presque toutes les circonscriptions ; il est malheureux de constater que les barrons de la corruption ne veulent pas lâcher prise, ils ont instauré un véritable marché aux signatures ». Abdelwahab El Héni, du parti El Majd, également, se rendra lundi prochain à l'Isie pour déposer officiellement sa candidature. Le contact direct avec les citoyens et le porte-à- porte a été sa stratégie pour collecter plus de 10 mille signatures, écouter les doléances des citoyens et parler de son programme électoral. Pour Abdelwahab El Héni, le financement politique illicite est une réalité. Certains candidats ont eu recours à des agences pour faire le travail de collecte du parrainage. « C'est un financement illicite masqué ». Et d'ajouter : « La moitié des candidats qui ont annoncé leur intention de présenter leur candidature sont des gens farfelus et à la fin, il n'en restera que six ou sept candidats sérieux », avance-t-il. Double parrainage : rectifier le tir Du côté des femmes, Kalthoum Kannou déposera aujourd'hui son dossier à l'Isie. La collecte des signatures n'a pas été du tout aisée : «Je passe 30 à 35 minutes à discuter avec chaque personne avant de recueillir sa signature. Les signatures récoltées par téléphone, la magistrate en a également entendu parler, c'est pourquoi elle compte intervenir pour rectifier le tir en cas de double parrainage : «La loi électorale stipule qu'au cas où une même personne signe dans deux listes, la signature doit être annulée des deux listes ; or, l'Isie compte retenir la signature pour le premier candidat qui déposera son dossier, ce n'est pas légal et je compte bien me faire entendre à ce sujet ». Dépitée, Kalthoum Kannou ne cache pas son désaveu vis-à-vis de certaines pratiques utilisées au nom de la politique : «Certaines personnes se sont portées candidates juste pour faire tomber d'autres personnes ». Malgré tout, la magistrate, qui revendique une candidature citoyenne légitimée par un parrainage populaire, reste optimiste même si « ce n'est pas facile ». Pour Zied El Héni, journaliste, qui s'approche des dix mille signatures, le défi est déjà relevé : «Ma réussite est d'être dans la course tout seul sans être soutenu par une quelconque machine partisane ou autre. Toutefois, chaque signature collectée est précieuse pour moi », affirme-t-il. Et l'expérience méritait d'être vécue malgré le constat négatif dressé par le journaliste qui considère que la démocratie n'est pas le système idéal mais il reste le meilleur. « J'ai annoncé ma candidature pour être auprès des démunis, des désemparés et des déçus de la révolutions, parce que celle-ci a été purement et simplement trahie », conclut le journaliste qui déplore une décadence morale traduite par le recours à l'argent sale dans des élections démocratiques et qui devraient être transparentes. Nasr Ben Soltane, fondateur du Centre des études de la sécurité globale, ne s'en mêle pas les pinceaux et se concentre sur les raisons qui l'ont poussé à se porter candidat : «J'en ai les compétences et les aptitudes ». Mais également : «Nous avons besoin de sauver notre pays de la déroute sociale, économique et sécuritaire ; pour cela nous devons unir nos rangs et bannir les tiraillements politiques qui minent le processus démocratique et électoral ».