«Ou bien cette transition aboutit à une consécration, ou bien on retombe dans un régime hybride qui, par essence, est despotique sous une couverture démocratique» (Chafik Sarsar) Malgré l'émulation ambiante, nous sommes toujours en mode précampagne. Une période où la propagande est admise et les règles sont souples. C'est le 4 octobre que la campagne législative démarrera. Elle sera limitée dans le temps et par les règles. Pour le moment, ce sont les candidats à la présidentielle qui s'activent. L'Isie en ces jours de grande excitation ne désemplit pas. A grands pas, les dates fatidiques approchent : 26 octobre pour les législatives et 23 novembre pour la présidentielle. Là on ne joue plus. Sommes-nous en accord avec l'échéancier établi ? Question de «La Presse». Oui, répond Chafik Sarsar, confiant, souriant, à l'aise dans ses quartiers, par ce jour qui a vu défiler pas moins de cinq présidentiables. « Nous avançons de façon assez sûre, poursuit-il, l'échéancier est respecté malgré quelques difficultés, telle l'ouverture des comptes bancaires pour les listes leur permettant d'encaisser la subvention publique. Mais je dois à ce titre saluer le travail de tout le staff», a-t-il souligné. Le président de l'Isie est-il indépendant ? Si la course s'annonce serrée, il est cependant trop tôt pour arrêter une liste définitive des candidats à la députation comme à la présidence. Le dépôt des candidatures est en cours. Cent trente trois recours sont déposés au Tribunal de première instance, relatifs aux listes législatives. Trop tôt, donc, pour avoir une estimation plus ou moins précise du paysage. En revanche, il y a des constantes qui reviennent, telle l'accusation sans cesse portée au président de l'Isie d'avoir des accointances avec le parti Ennahdha. «Je suis professeur à la faculté de Droit de Tunis depuis 23 ans, se défend-il. J'ai toujours été indépendant. Je n'ai voté qu'une seule fois de ma vie, en 2011. Après la révolution, j'ai pris part à plusieurs instances et commissions. J'ai été membre de la commission d'enquête de l'Ugtt. Et je suis tour à tour accusé d'être le candidat de l'opposition et de la Troïka. Or, j'ai rencontré des difficultés avec tous les partis, sans exception. Le 19 juillet, j'ai été élu par les deux tiers des députés, 163 voix exactement, je ne peux pas être que le candidat d'Ennahdha», analyse-t-il plus ou moins machinalement. «Malgré tout, est-ce possible de faire preuve de favoritisme vis-à-vis d'un parti ou d'un candidat, les procédures et les règles ne sont-elles pas ficelées de façon à ne permettre aucun dérapage dans ce sen?», avons-nous rebondi. «Les dérives sont toujours possibles même si les règles sont établies. Il faut que la transparence accompagne tout le processus et un mécanisme de contrôle soit mis en place. La confiance ne doit pas exclure le contrôle», a mis en avant M. Sarsar. Entre la routine d'antan et l'ambiance délurée Le Centre Carter, qui suit de près le processus électoral, a félicité l'Isie, tout en revendiquant davantage de transparence. Transparence avec les médias ou dans la gestion ? Chafik Sarsar nous informe que ce n'était pas précisé. Lui et son équipe essayent d'optimiser au maximum le niveau de transparence. Le bulletin de vote vient d'être publié sur le site de l'Isie, par exemple, pour éviter le remake des désagréments de 2011. Des logos et des noms qui se ressemblent et des confusions à la pelle. L'Isie est prise d'assaut par les journalistes, les supporters de tout acabit et par les candidats en ce vendredi 19 septembre. Des revenants, des plaisantins, de parfaits inconnus, des ambitieux vaniteux, quelques doux rêveurs et rêveuses, et des politiques avec des chances sérieuses d'occuper le Palais de Carthage cinq longues années. Ce sont les règles de la démocratie. Il faut supporter les lubies, les folies, les manigances, et les ambitions de tous. Le scrutin décidera au final. Mais, imaginons un peu que Ben Ali soit resté, on serait en ce moment à se voir imposer les chansonnettes en boucle semi-patriotiques, semi-laudatives ; les exhortations par liste et par champ d'activités. Rien que parce que nous sommes soulagés de ce violet clair et bas de gamme entachant l'atmosphère, maculant les murs, les affiches, les rampes des ponts et même les robes des chanteuses, on se congratule. Il y a de la liberté dans l'air, et cela n'a pas de prix. Le paysage audiovisuel est varié, il a gagné en qualité, en professionnalisme, mis à part quelques émissions insuffisamment travaillées, des décors approximatifs, des coups de gueule de certains journalistes-chroniqueurs tout à fait déplacés. C'est peut-être au candidat interviewé de perdre son sang-froid et non l'inverse. Rien n'est gagné Finis donc, à jamais, la voix monocorde, le logo monocolore, le candidat unique. Fini, espérons-le, aussi, le délire révolutionnaire qui a frappé le pays trois années durant, finis les tenues déglinguées, les cheveux gras, les visages haineux, les diffamations en live. «Si on vous demandait de comparer entre les élections, si Ben Ali était resté et celles que vous supervisez, quelle différence à mettre en avant entre les deux processus, et au niveau de l'ambiance» ? Dernière question posée au président de l'Isie? «Je ne serai pas là, répond Chafik Sarsar promptement. Les choses auraient été très différentes. A présent, malgré les difficultés, les défis à relever et les souffrances à supporter, on peut parler aux journalistes, dire ce qu'on veut. Actuellement, j'ai une obligation de réserve, nuance-t-il. Mais je dois ajouter que nous sommes en transition, ou bien cette transition aboutit à une consécration, ou bien on va retomber dans un régime hybride qui, par essence, est despotique sous une couverture démocratique. Nous ne sommes pas encore en train de cueillir les fruits de la révolution, mais c'est une phase déterminante. L'enjeu est grand. Ceux que nous élirons vont gouverner jusqu'à 2019. Il faut que les acteurs envoient des messages de confiance pour que l'électeur soit présent et trouve des raisons pour aller voter». C'était le message du président de l'Isie, espérons qu'il ne tombera pas dans l'oreille d'un sourd.