Par M'hamed JAIBI C'est décidé, les Américains vont de nouveau armer les fameux «rebelles» de Syrie qu'on avait lâchés. Et ils seront formés et entraînés par l'Arabie Saoudite. On les avait largués parce qu'il avait semblé à l'oncle Sam qu'ils s'étaient radicalisés au point d'être soupçonnés de pactiser avec les jihadistes qui avaient afflué de partout. Et c'était bien vrai, au point qu'avec l'appui du Qatar et la complicité implicite de la Troïka, tant de jeunes Tunisiens fanatisés en ont fait les frais. On reprend donc sur le tas des combattants «révolutionnaires» anti-Bachar, affublés pour la circonstance du label «modérés», en vue d'un recyclage purificateur chez les wahhabites, histoire de les initier aux valeurs de la Républicaine démocratique. Jusque-là accusés d'appuyer l'extrémisme religieux, voilà que les Saoudiens prennent la tête de la guerre contre Daech et se chargent spécialement de la Syrie, dont le régime est, tout à coup, de nouveau accusé d'utiliser des armes chimiques. Le témoin passe ainsi du Qatar à son rival saoudien, celui-là même qui a rendu possible le renversement des Frères musulmans en Egypte. Et il est désormais question de battre les jihadistes de Daech, contre lesquels se dressent les contraires : les Saoudiens et leurs concurrents qatariotes, les Iraniens et leurs alliés chiites irakiens qui font copain-copain avec les States, les Kurdes dont personne ne veut et que l'Occident veut monter en épingle... Et les Turcs qui craignent tout de cette ascension. Alors qu'Israël guette et tire les marrons du feu. Une guerre sans merci se prépare, dont nous ne connaissons ni les coulisses ni les véritables objectifs, contre l'armée d'un Baghdadi qu'on accuse d'être une création des renseignements américains formé en Israël. Quel charabia ! N'est-il pas légitime pour nous, face à ce tableau kafkaïen, de se donner le temps de la réflexion quant au destin de notre pays, dans une géostratégie qui voue manifestement le monde arabe à une zizanie meurtrière ? Car, et au moment où nous nous focalisons sur nos élections, notre destin se joue peut-être ailleurs. Alors que l'on s'entretue en Libye et que les Frères musulmans sont déclarés terroristes en Arabie Saoudite et persona non grata au Qatar, nos islamistes nationaux ambitionnent de remporter les législatives et les puissances occidentales saluent l'expérience pionnière tunisienne. Est-ce vraiment rassurant ou faut-il s'attendre à de nouveaux coups de théâtre ? Certes, les Tunisiens étant partagés entre deux grands projets de société, l'option consensuelle — le gouvernement Jomâa en a donné la preuve — présente l'avantage de masquer les clivages et de souder l'effort national. Mais n'est-il pas utile de clarifier le tableau en mettant les points sur les «i» ? Qui donc chez nous a rendu possible le départ de tant de jeunes en Syrie? Qui donc a financé cette quête, accordé la logistique, laissé faire le lavage de cerveau, tu les entraînements dans les camps, minimisé les risques et livré les mosquées ? Et qui donc savait mais n'a rien révélé, même après l'attaque de l'ambassade US et la rupture avec Abou Iyadh ? Sauver la transition démocratique est sans doute un devoir national, et l'action en vue de consolider la construction de la deuxième République et du pluripartisme est une œuvre de salut public, mais dans la clarté. Dans l'environnement international incertain dans lequel on se meut, la Tunisie et les Tunisiens doivent être informés pour se déterminer vis-à-vis du terrorisme, du jihadisme et des vrais projets de chacun. Le fait que le discours officiel d'Ennahdha ait changé ne peut suffire. Ce changement doit être durable et stratégique, accompagné d'une autocritique, d'une remise en question solennelle apte à rassurer les Tunisiens sur l'attachement sincère de tous au texte et à l'âme de la nouvelle Constitution.