Profitant de populations et de territoires affaiblis, les nouveaux jihadistes s'appuient sur des finances colossales pour asseoir leur califat en Irak et en Syrie. Et l'étendre vers le sud. Avec l'Etat islamique (EI), le jihadisme a changé de stratégie. Il ne s'agit plus de constituer un réseau à l'échelle internationale mais de s'appuyer sur un territoire. La mort de Ben Laden et la dislocation du réseau Al-Qaeda ont favorisé cette nouvelle stratégie, d'autant que le calife autoproclamé Al-Baghdadi a rompu avec le successeur de Ben Laden, Ayman al-Zawahiri. Lorsqu'il s'installe en Syrie, l'EI dispose déjà de solides bases arrières en Irak, dans les provinces sunnites de Mossoul et d'Al-Anbar, d'où proviennent les combattants et les ressources financières. Car il a déjà instauré une fiscalité parallèle à celle de l'Etat irakien. En Syrie, la ville de Raqqa devient sa capitale et le centre de son expansion dans le nord du pays. Accusant un retard de développement conséquent - un tiers d'analphabètes, un taux de fécondité de 8 enfants par femme et plus de 50% de la population active qui travaille dans l'agriculture -, la province de Raqqa est la plus pauvre de l'Etat syrien. C'est tout à fait l'environnement qui convient à l'EI, qui, après avoir éliminé les cadres du régime baasiste et les opposants laïcs, va pouvoir imposer un salafisme «authentique» à la population. L'instauration de cours de justice islamique et les distributions de nourriture sont les meilleures armes de l'EI pour séduire la population. Il s'agit de restaurer la justice et la sécurité pour les classes populaires, laissées pour compte de la libéralisation économique du régime de Bachar al-Assad et livrées aux rivalités entre groupes rebelles. Les silos à grains sont vidés pour alimenter les boulangeries qui doivent fournir du pain à prix modique. L'eau, don de Dieu, est désormais gratuite pour les agriculteurs des périmètres irrigués. Contrôle des puits. L'Etat islamique redistribue également une partie des financements en provenance des pétromonarchies du Golfe - riches admirateurs privés ou les Etats eux-mêmes - lorsqu'ils partagent les mêmes intérêts stratégiques. Mais il ne se contente pas de ses ressources extérieures - qui le rendraient trop dépendant - taxe le transit des marchandises et les commerces, et s'approprie les biens des populations expulsées. Dès le printemps dernier, le contrôle des puits de pétrole de la vallée de l'Euphrate, entre Deir el-Zor et Al-Boukamal, lui a apporté une nouvelle source de revenus estimée entre 1 et 2 millions de dollars par jour. Le pétrole brut ou semi raffiné alimente la contrebande vers l'Irak et la Turquie, voire vers la zone contrôlée par Damas. Il est également vendu à la population locale qui ne dispose que de ce carburant pour se déplacer ou alimenter les groupes électrogènes. En Syrie, l'objectif premier de l'EI n'est pas la chute du régime d'Al-Assad, mais l'unification des autres groupes rebelles sous sa bannière. Il s'est donc abstenu, dans un premier temps, d'entrer en conflit avec l'armée syrienne. Mais en juillet, une fois les derniers insurgés de la vallée de l'Euphrate éliminés ou ralliés, il s'est attaqué aux bases militaires de Deir el-Zor et Raqqa, s'emparant notamment de l'aéroport militaire de Tabqa. Il poursuit son avancée vers le nord-ouest de la Syrie, à la fois contre les rebelles et les milices kurdes du PYD, la branche syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). La lutte contre les Kurdes est un puissant facteur d'unification des Arabes sunnites qui profite directement à l'EI, en Syrie comme en Irak. La création de territoires et de gouvernements autonomes kurdes constitue une inversion de pouvoir tout à fait inacceptable pour les Arabes habitués à dominer les Kurdes. L'Etat islamique, tout comme dans le passé les régimes baasistes, profite du sentiment antikurde, menant à leur encontre une stratégie très claire d'épuration ethnique. Qu'importe si les Kurdes sont sunnites, leur islam n'est pas jugé sincère par Al-Baghdadi. Quant aux chiites, ils doivent être éliminés sans plus de procès car jugés hérétiques. En Irak, après des siècles de domination, les sunnites n'ont pas supporté l'arrivée au pouvoir des chiites subséquente à la chute de Saddam Hussein. En Syrie, la domination des alaouites, depuis la révolution baasiste de 1963, est contestée par la majorité sunnite.