La politique dans son sens purement partisan n'a pas de place dans les mosquées. Seulement, les imams ont le droit de débattre de tout thème ayant un rapport avec la vie quotidienne tunisienne. Et l'article 6 de la Constitution autorise in fine que la politique, obligée de quitter la mosquée par la porte, y retourne par la fenêtre A moins d'une semaine de la clôture de la campagne électorale pour les législatives, les feux sont toujours braqués sur les infractions commises par les différentes listes candidates au palais du Bardo, plus particulièrement pour ce qui est des affichages sauvages, de l'arrachage des affiches concurrentes, de l'échange d'accusations le plus souvent sans aucune preuve, des actes de violence ou d'intimidation isolés, faut-il le reconnaître, etc. Toujours est-il que les associations d'observation du déroulement de la campagne électorale n'ont pas accordé jusqu'ici l'importance requise au contenu des discours professés par certains imams qui n'ont pas respecté le principe de la neutralité obligatoire des prêches et la mise à l'écart des mosquées et ont réussi à contourner, avec intelligence, les dispositions de l'article 6 de la Constitution. L'article en question interdit, en effet, toute instrumentalisation à caractère partisan. En parallèle, il autorise les imams à parler de sujets à caractère d'ordre général. Ce qui revient à dire que les imams ne peuvent appeler les fidèles à voter pour un parti quelconque et à bouder un autre parti. Toutefois, ils ont le droit d'aborder des thèmes relatifs à la vie publique et ayant une dimension politique certaine comme l'unité nationale, le consensus, etc. Comment les associations d'observation qui sont aux aguets se sont-elles comportées face aux dépassements commis par certains partis ou listes indépendantes qui ont essayé d'introduire la dimension religieuse dans leur discours électoraliste, mais sous le couvert de morale et d'incitation à la vertu ? Et les partis politiques en compétition, comment évaluent-ils ce qui a été réalisé en matière de neutralité des mosquées et considèrent-ils que l'article 6 de la Constitution a été effectivement respecté ? Enfin, que peut entreprendre l'Isie au cas où lui parviendraient des doléances indiquant que la religion a été bel et bien présente dans les discours électoraux et que certains imams ont profité du contenu très subtil de l'article 6 de la Constitution et se sont livrés à la confusion tant redoutée intentionnellement ou de bonne foi. «Ettahrir» appelle au boycott Du côté de l'association Atide, les observateurs chargés de suivre le déroulement de la campagne électorale ne se sont pas contentés de constater uniquement les affichages illégaux ou les affiches placardées au sein de l'université (à l'Institut supérieur d'informatique et de gestion à Kairouan, les jeunes d'Ennahdha ont collé des affiches publicitaires de leur parti) ou sur les murs externes des écoles primaires (le cas d'Afek à La Manouba), le parti «El Bina» à Kasserine et «Al Jabha» qui a dressé une tente électorale face au campus universitaire de La Manouba. Montassar Souissi, coordinateur du département communication, révèle à La Presse : «Nos observateurs ont découvert que les mosquées n'ont pas été épargnées. Ainsi la tête de liste «El Kef Yourid», imam de son état, a assuré le prêche du vendredi 10 octobre. Dans plusieurs mosquées, comme à Kairouan, à titre d'exemple, les prêches du vendredi sont devenus une occasion pour inciter de manière implicite les fidèles à voter pour un parti islamiste». Il ajoute : «Le parti Ettahrir qui n'a pas de candidats aux élections s'est invité à la fête pour appeler au boycott de l'opération électorale. Le 12 octobre, il a dressé une tente à Béja, en face de la municipalité de la ville, pour appeler les citoyens à bouder les élections. L'Irie de Béja s'est contentée de relever les faits sans plus. Dans une mosquée dans la région de Kélibia, on a appelé lors du prêche de vendredi dernier à ignorer les élections et à considérer le Coran comme Constitution». La forme a changé, le contenu est toujours le même Ahmed Safi, enseignant universitaire, constituant sortant et membre de la direction du Front populaire, n'est pas surpris de voir les mosquées s'inviter de nouveau dans la joute électorale. «Pour moi, le discours dur et takfiriste professé lors des élections du 23 octobre 2011 a cédé la place à un nouveau discours religieux modéré mais le contenu est toujours le même. Sauf que cette fois-cis, c'est bien une lecture spécifique du contenu de l'article 6 de la Constitution qui l'autorise. Dans cet article, l'instrumentalisation partisane des mosquées est strictement interdite et les imams sont obligés de ne pas citer de partis politiques dans leurs prêches. A l'opposé, ils ont le droit d'évoquer des thèmes ayant un rapport avec la vie publique. Ainsi, ils ont la latitude de parler d'union nationale, de consensus, de réconciliation sans que l'on puisse les accuser de parler de politique et c'est ce qu'ils sont en train de faire à l'heure actuelle. Ils ne divisent plus les Tunisiens entre ceux qui craignent Dieu, d'une part, et les laïcs, d'autre part, accusés implicitement de tous les torts. Leur nouveau discours appelle au consensus, au président consensuel, au gouvernement d'union nationale. En un mot, ils font l'éloge des nouvelles orientations d'Ennahdha». Que peuvent faire les partis qui ont découvert que les mosquées participent, à travers les imams proches d'Ennahdha, effectivement à la campagne électorale ? «Rien, rétorque Ahmed Safi, sauf alerter l'Isie sur ces dérives. Nous avons contacté les responsables de l'Instance pour leur faire part de nos remarques. Leur réponse est on ne peut plus claire et précise : nous ne pouvons rien tant qu'il n'existe pas d'infractions matérielles».