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Lorsqu'une adresse devient un handicap pour trouver un emploi Présentation des résultats préliminaires de l'enquête sur les jeunes de Douar Hicher et Ettadhamen
L'équipe de chercheurs tunisiens en sciences humaines engagés par International Alert pour travailler sur les jeunes des cités Douar Hicher et Ettadhamen présentent, aujourd'hui à l'Hôtel Majestic, les premiers résultats d'une enquête de terrain, qui s'est poursuivie le long d'une année Beaucoup de désenchantements imprègnent leurs paroles. Six chercheurs tunisiens*, des sociologues, des démographes et une politologue se sont penchés, le long d'une année, sur des jeunes âgés entre 18 et 34 ans vivant dans deux quartiers périurbains de Tunis parmi les plus étendus du pays, Douar Hicher et Ettadhamen. L'enquête a été commanditée par le bureau de Tunis d'Alert International, une ONG qui porte comme slogan «La paix est notre travail» et dont l'un des objectifs majeurs consiste à apporter un diagnostic et une lecture multidimensionnelle dans la compréhension des situations de conflits en prenant en compte le point de vue des populations vulnérables et marginalisées. Alert International a choisi ces deux cités populaires, nées de plusieurs vagues d'exode rural commencées dès l'orée des années 70, pour l'importance entre autres de leurs taux de chômage et de pauvreté. «Nous sommes partis de l'idée qu'au cours des mobilisations qu'a connues la Tunisie pendant la période allant du 17 décembre 2010 au 14 janvier 2011, la jeunesse a incarné une force sociale porteuse d'un projet d'émancipation, comme au lendemain de l'indépendance. Mais cette glorification a très vite cédé la place à une représentation négative des jeunes de ces «territoires de la marge», désormais stigmatisés par des images de violence et de salafisme, qui se sont imposées à travers les médias. Nous avons voulu à travers ce travail creuser et déconstruire cette représentation, tout en engageant un débat sur la jeunesse », explique Olfa Lamloum, politologue et directrice du bureau de Tunis d'Alert International. L'enquête qui a concerné 740 personnes des deux sexes s'est intéressée aux espoirs des 18-34 ans, à leurs croyances, à leurs valeurs, à leurs échecs et succès, à leurs mots, à leurs parcours. Tout cela par l'entremise de plusieurs entrées : l'origine sociale et familiale, le rapport au quartier, l'itinéraire scolaire et professionnel, le rapport aux institutions, la participation à la vie politique et associative, les croyances religieuses. Six focus groupes ont été constitués reflétant des profils diversifiés : mères célibataires, jeunes à comportement à risque, jeunes au parcours scolaire accidenté, entrepreneurs, rappeurs, jeunes engagés politiquement ou dans l'univers associatif. Le chômage correspond à la mort Le rapport préliminaire de l'enquête démontre que ces jeunes ont une conscience très aiguë du stigmate de leur quartier. Plus grave encore, le fait que leur territoire soit criminalisé et qu'il suscite la crainte a une conséquence directe sur leur vie. Avoir comme adresse la Cité Ettadhamen ou Douar Hicher représente, pour eux, un handicap dans la recherche d'un emploi. En réaction à la marginalisation de leur cité, un sentiment d'appartenance au quartier et de solidarité imprègne fortement leur identité. L'école a, d'autre part, perdu toute sa symbolique d'ascenseur social pour cette population. S'ils n'y croient plus, ils la fréquentent uniquement pour satisfaire leurs parents et surtout leurs mères, qui continuent à se saigner les quatre vaines pour leur offrir des cours particuliers. Le chômage correspond à une vraie souffrance psychologique, à la «mort» pour 18% des personnes interviewées. Le désenchantement de ces jeunes, qui semblent très peu intéressés par un engagement politique et associatif, se poursuit au niveau des institutions publiques. Les personnes interviewées estiment que les services des établissements publics se sont dégradés après la révolution, le taux d'absentéisme des agents y a augmenté, la corruption s'est démultipliée et surtout une attitude de hogra (mépris) envers les jeunes y est relevée par une bonne partie de l'échantillon. Demain, l'équipe de chercheurs se déplacera à la municipalité d'Ettadhamen pour restituer les résultats de l'enquête aux jeunes qui y ont pris part en présence des autorités régionales. *Ont participé à ce projet les chercheurs Olfa Lamloum, Ridha Ben Amor, Imed Melliti, Mohamed Ali Ben Zina, Hayet Moussa et Mehdi Barhoumi