Les interprètes de la «Méditerranée sacrée» ont consacré la soirée de lundi dernier, à l'Acropolium de Carthage, à l'exploration, à la limite du sacré et du profane, du pouvoir de la «voix d'humanité». En effet, la nef est un cadre idéal et rêvé pour exercer les voix et stimuler l'écoute avec la réflexion. Les interprètes étant le chœur de chambre « Les éléments » créé en 1997 à Toulouse. Il est dirigé par son fondateur Joël Suhubiette et s'est affirmé en quelques années comme l'un des principaux acteurs de la chorale française. Du répertoire a cappella à l'oratorio, de la musique de la Renaissance à la création contemporaine, en passant par l'opéra, travaillant en relation avec des musicologues, allant à la rencontre des compositeurs d'aujourd'hui, Joël Suhubiette consacre l'essentiel de son activité à la direction de ses ensembles, le chœur de chambre toulousain Les éléments et l'ensemble Jacques Moderne de Tours dont il est le directeur musical depuis 1993. Le chœur a offert au public de l'Octobre musical son programme à succès autour des cultures et des religions du Bassin méditerranéen «Méditerranée sacrée», qui est un mélange d'œuvres d'hier et d'aujourd'hui et de langues anciennes des pays de la Méditerranée. Il en résulte une prestation plus que surprenante, à la limite de l'envoûtement, par lequelle il faut se laisser prendre, avant d'être complètement abandonné. Leur chant, ils l'ont mis au point avec une telle clairvoyance que les œuvres choisies se faisant tour à tour témoignage de piété collective et de spiritisme lumineux. Au fil d'un programme multiculturel et multi religieux composé de polyphonies anciennes et modernes en arabe, hébreu, araméen, latin et grec ancien, on découvre simplement qu'ils ont pénétré l'univers chambriste avec une vision largement humaniste, poétique et pieuse qui sonne si bien dans le cadre de la «Cathédrale Saint-Louis de Carthage», un lieu où les époques se mélangent, les religions se côtoient et les cultures se rencontrent. Une excellente occasion pour beaucoup de mélomanes tunisiens et étrangers présents de (re)découvrir des polyphonies, de la Renaissance à la création contemporaine dans quatre langues anciennes du Bassin méditerranéen (latin, grec ancien, hébreu et araméen). Nul besoin d'instruments, les voix sont désormais les seuls instruments possibles dans le chant polyphonique formant une palette vocale envoûtante, riche et diversifiée. Lors des partitions, comme on dirait à l'orgue, les voix semblent entrer et sortir en toute liberté, se glissant dans la texture au fur et à mesure d'interventions dont l'ampleur et le développement peuvent être extrêmement contrastés – de quelques phrases à un air largement déployé. Solennel et beau... Ils ont interprété en première partie des polyphonies en latin telles que : O Virgo splendens hic in monte celso (pour chœur de femmes) de Llibre vermell de Montserrat (XIVe siècle), O vos omnes, Magnificat de Tomás Luis de Victoria (1548-1611). Ensuite en hébreu et en araméen Barekhu et Kaddish de Salomone Rossi (1570-1630). Ont suivi en grec ancien Trois fragments des Bacchantes -sur des textes d'Euripide - (2009) d'Alexandros Markeas (1965), interprétés avec une ardeur véritable, un entremêlement de passion et de voix assez saisissant. Le ton de la soirée est donné, sacral, solennel et beau, en accord avec le sens profond de la spiritualité, non seulement au niveau narratif, avec sa dimension descriptive et psychologique, mais aussi au niveau théologique et liturgique. On y retrouve la virtuosité et la solennité des chants avec, en plus, l'intimité de la prière. La deuxième partie est consacrée aux polyphonies en arabe et en latin telles que : Man anta -sur un texte du soufi persan Mansur al-Hallaj, une composition pour cinq voix d'hommes (en arabe) du Libanais Zad Moultaka (1967), Réponse des ténèbres du samedi saint, Jerusalem, surge et O vos omnes de Carlo Gesualdo (1560-1613) et Crucifixus -à huit voix- en latin de Antonio Lotti (1665-1740). Ensuite, l'artiste et soprano Alia Sallemi s'est jointe au chœur pour interpréter avec sa voix limpide un chant maronite libanais Fi Leyeli qui ne laisse pas indifférent. Enfin, la deuxième partie s'achève avec l'interprétation lumineuse et saisissante de Lama sabaqtani (2009) en araméen, un chant inspiré par «les Sept dernières paroles du Christ en croix» composé par Zad Moultaka. La troisième partie du concert fut consacrée à la présentation du projet lyrique de Alia Sallemi intitulé « Mur ...murs de la ville » et dont la première version a été créée dans le cadre du festival «Dream-city 2010». « Le bruit, les divers sons de la ville, créent des rythmes qui sont liés à des images ; je les ai transformés en différentes voix», affirme-t-elle. Le Chœur de Chambre « Les éléments » a pu assurer l'interprétation juste et saisissante des divers sons du Doppler, l'embouteillage, les pas de passants, la station, road lines, etc. Plénitude et richesse des timbres de cette formation se révélèrent tout simplement confondantes de puissance, de clarté, de virtuosité musicale de chacun comme de l'ensemble, tout cela sous la direction d'un chef de chœur capable de conjuguer fidélité au texte et émotion, et surtout de profiter au mieux des vocalises des choristes transformés en un magnifique orgue à voix !