Le centre de vote aménagé au lycée El Wafa, Route de Raoued, a ouvert ses portes à l'heure, à 7 heures du matin de ce dimance 26 octobre 2014, jour exceptionnel pour les Tunisiens qui vivent un moment historique avec l'organisation des premières élections législatives après la révolution. Scrutin qui aboutira à l'élection des 217 députés qui siègeront dans la prochaine assemblée des représentants du peuple pendant les cinq prochaines années. La circonscription de l'Ariana compte 55 listes dont 38 représentent des partis politiques, 10 listes indépendantes et 7 listes de coalition. Au total, 440 candidats se disputeront 8 sièges au Parlement. Le bureau de vote 1 ne désemplit pas Les électeurs ont afflué tôt le matin. Les premiers arrivés sont pour la plupart des adultes, hommes, femmes et personnes âgées des deux sexes. Les jeunes étaient présents, surtout des filles, mais pas en masse. Les forces sécuritaires et militaires sont à leur poste, sécurisant l'environnement extérieur et l'entrée du centre de vote. Huit bureaux ont été aménagés pour accueillir les 4.523 votants inscrits. Le bureau de vote n°1 ne désemplit pas jusqu'aux environs de 13h30, contrairement aux autres bureaux pratiquement vides. La longue file devant le bureau 1 intrigue les électeurs et suscite des interrogations voire des critiques aux contrôleurs de l'Isie et aux membres du bureau de vote pour «mauvaise organisation du scrutin»; d'autres soupçonnent même des tentatives de dissuasion des votants, surtout les plus âgés, restés debout et exposés au soleil, pendant de longues heures. Contacté par La Presse, le président du centre de vote, M. Radhouane Azaïez, démontre, preuve à l'appui, la répartition quantitative équitable des électeurs entre les huit bureaux, soit 566 votants par bureau dans sept bureaux de vote et 561 dans le huitième. Et M. Azaïez d'expliquer encore que la répartition des électeurs à travers les bureaux de vote s'est faite sur la base des numéros de la CIN et par ordre chronologique de la date de naissance. Il ajoutera dans la foulée des argumentations, que dans la file du bureau 1 se trouvent plusieurs personnes âgées, le temps de passage pour le vote est par conséquent plus long, il peut aller jusqu'à 5 minutes au lieu de 1'30 à 2' chez un jeune ou un adulte bien informé sur les moindres détails de l'opération de vote et qui n'a pas besoin d'être assisté. Les «vieux» se sont déplacés pour les jeunes Madame Baya, une vieille dame enveloppée dans une longue robe et un voile, affairée sur une chaise derrière une colonne à l'abri du soleil, attend sa fille en train de voter. Elle assure avoir 82 ans et avoir voté toute seule sans assistance. Dans ses yeux, on peut lire facilement les lueurs de la détermination. «Je suis venue voter pour que la Tunisie soit gouvernée par des personnes qui feront tout pour la sauver. Ces dernières années ont été très dures pour nous : des morts, beaucoup de sang, du chômage, nos enfants même les diplômés remplissent les cafés, la cherté de la vie. Je suis venue jusqu'ici pour donner ma voix à ceux qui, j'espère, auront pitié de nous et de la Tunisie. J'espère que le Bon Dieu aura pitié de nous». Hamda, 78 ans, est lui aussi affecté par les événements qui ont marqué le pays pendant la transition démocratique. Et son déplacement jusqu'au bureau de vote il le dédie à ses enfants et ses petits-enfants. «A mon âge, je n'attends plus rien de la vie, mais j'ai peur pour mes enfants et leurs enfants, je voudrais qu'ils vivent dans la paix et dans la dignité et plus jamais avec la peur au ventre». Fakhri, la cinquantaine, fait part lui aussi de ses impressions : «J'ai toujours beaucoup voyagé mais je n'ai jamais été autant humilié dans les aéroports surtout occidentaux ; les Tunisiens, on nous prend tous pour des terroristes». Et d'ajouter : «Moi j'ai voté contre les déchets, l'insécurité, la violence, le chômage, les prix qui ne cessent d'augmenter ainsi que l'éducation et la santé, deux domaines en dérive». Une jeune niqabée quitte en vitesse le bureau de vote après avoir voté. A notre question, visiblement gênante, de savoir si elle a voté avec le visage couvert, elle répond sèchement : «Non». Une femme membre du bureau de vote a procédé à la vérification de son identité. «Où est le problème ?», nous interroge-t-elle à son tour, avant d'admettre que c'est la loi et que celle-ci doit être respectée par tous. De l'optimisme dans la banlieue où a été assassiné Haj Mohamed Brahmi Dans ce centre de vote comme dans plusieurs autres circonscriptions, il y a eu également des mécontents en raison de l'absence de leurs noms sur les listes électorales. Parmi les explications données par les représentants de l'Isie, «ils ne se sont pas inscrits volontairement ni en 2011 ni en 2014 dans les délais légaux» (en 2011, ils se sont inscrits le jour du vote, ndlr). Cette affaire des inscriptions dans les listes électorales fera sans doute grand bruit dans les prochains jours, car on ne sait pas encore si la cause est un manquement de la part des électeurs ou si c'est un problème de communication du côté de l'Isie. Dans les deux cas, le résultat est qu'il y a des Tunisiens qui ont voulu voter mais qui en ont été empêchés. A El Ghazala, l'effervescence est perceptible en ce dimanche d'élections. Inhabituellement, le trafic est dense, les véhicules garés un peu partout aux alentours du bureau de vote, des automobilistes font signe de la main gauche pour montrer l'index trempé dans l'encre électorale. Un air d'optimisme flotte sur cette banlieue de la capitale où habitait le martyr Mohamed Brahmi et où il a été assassiné devant son domicile, le 25 juillet 2013, par l'ennemi de la liberté, de la modernité... de la Tunisie, le terrorisme.