« A la manière des hommes '' affairistes'' tunisiens, nous avons en Tunisie des sondeurs spéculateurs de l'opinion publique », lit-on sur le net dans la nuit du dimanche à lundi. Grand absent de la campagne électorale, le sondage est réapparu brusquement dimanche 26 octobre dans la soirée, à quelques heures de la fin du silence électoral, provoquant la joie des uns et la colère des autres. Les uns et les autres se disputaient la victoire du premier scrutin démocratique de l'assemblée des représentants du peuple. En cette veillée électorale, partisans et adversaires assistaient en direct au dépouillement des urnes, transmis par toutes les chaînes de télévision nationales. C'est la chaîne publique française France 24 qui allait rompre le silence médiatiquement en annonçant les premières estimations aux alentours de 20h, au grand dam de l'Instance supérieure des élections (Isie) et de la Haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle (Haica) : 37 % d'intentions de vote pour le parti Nida Tounes et 26 % pour le mouvement Ennahdha. Des pourcentages divulgués par les instituts de sondage Sigma Conseil et 3C Etudes. Ils variaient d'à peine quelques points. En début de soirée, le militant d'Ennahdha Abdelmajid Jlassi lors d'un point presse s'est pourtant empressé de mettre en garde contre ces chiffres qui « pourraient compromettre le processus électoral ». Trop tard. Au même moment, le président de Nida Tounes va prendre la parole pour annoncer la victoire de son parti s'appuyant sur de premières estimations qui leur étaient parvennues. Le chef du courant démocratique Mohamed Abbou rejette aussitôt ces estimations « erronées », se référant plutôt à sa popularité sur le terrain. Même prise de position chez les partisans d'Ettatokol : sur les ondes de radio Shems FM, son leader Khélil Zaouia qualifie de « naïves » les déclarations de Beji Caid Essbesi. Il a affirmé haut et fort que les derniers sondages placent Ennahdha en première position et Ettakatol troisième». Chacun avait ses estimations, chacun prédisait sa victoire. Dans cette guerre de points et de pourcentages, on distingue néanmoins ceci : le sondage en Tunisie reste une énigme. Dans les pays traditionnellement démocratiques, la fiabilité des instituts de sondage fait débat en période électorale. Les sondages ont été interdits pendant toute la campagne en vertu de l'article 36 de la loi électorale. Une interdiction justifiée par l'absence d'un cadre juridique qui réglemente l'univers des instituts de sondages en Tunisie. Le sondage n'étant pas une science exacte, des instituts publiaient de fausses estimations pendant le règne de Ben Ali, sans le moindre égard pour la profession. Après la révolution, le phénomène n'a pas disparu pour autant. Des voix se sont élevées à maintes reprises pour dénoncer cette manipulation de l'opinion publique et la supercherie de certains sondeurs. Aujourd'hui alors que les résultats définitifs sont proclamés, le sondage réapparait en position de force. Les estimations publiées sont presque conformes à la réalité malgré les contestations des partisans de la troika sortante. Faut-il pour autant le réhabiliter ? « Il faut d'abord un cadre juridique pour réglementer le secteur et sévir contre les pseudo sondeurs », estime Hichem Guerfalli, de l'Institut 3C Etudes. L'Institut qui travaille en France a stoppé ses activités en Tunisie pour se démarquer d'un milieu où le faux l'emporte sur la vérité. Les sondages qui affichent leur pouvoir ces jours-ci vont disparaître une nouvelle fois pendant les présidentielles. En attendant, le parti vainqueur Nida Tounes pourrait être pénalisé pour non respect de la loi électorale. Une question reste posée : Beji Caid Essebsi a-t-il bien fait de briser ce soir là le silence électoral ?