Cap sur Testour, lundi 12, car l'évènement culturel était bel et bien là. La cité «sévillane» si fleurie, si accueillante, si racée, inaugurait la 44e édition de son festival de malouf et de musique arabe traditionnelle avec au programme, sans aucun doute, l'emblème du chant andalou en Tunisie, Ziad Gharsa. Belle soirée à l'évidence. Qui plus est, suivie par un public nombreux, fin connaisseur, dont un aréopage de fidèles mélomanes, accourus droit de la capitale, preuve que les distances ne comptent pas si les affiches valent le déplacement. Belle soirée, oui, car le classique exécuté à ces niveaux (talent, compétence, créativité) ne peut ne pas ravir les écoutes, mieux : les réconcilier, fût-ce le court moment d'un concert, avec la vraie bonne musique. Petit ensemble sur scène. A l'ancienne. A première vue, cela pouvait paraître peu, mais quand la sonorité s'enclenche on réalise vite que ce n'est que dans «l'économie» que le malouf s'exprime le mieux. Le répéterons-nous assez? Les grands orchestres et les chorales touffues sont une invention récente, et l'interprétation à l'unisson, si elle en donne plein l'ouie, a le défaut d'occulter l'essentiel de cet art du patrimoine qui est, par principe, un art de solistes. C'est lorsque l'on peut percevoir le menu détail des instruments et des chants que l'on saisit ce qu'il y a de plus beau et de plus profond (en somme ce qui le distingue) dans le malouf. Démonstration, on ne peut plus convaincante, ce lundi à Testour : la voix de Ziad Gharsa, certes dominante, certes plus dotée, ne couvrait pas (à dessein) celles des trois chœuristes, non plus d'ailleurs que celles des quelques instrumentistes appelés, eux aussi, (ainsi veut la tradition) à apporter leurs propres touches à l'ensemble. Sorte de polyphonie, intuitive, spontanée qui a cette qualité unique (indispensable au genre) de marier les registres et les tonalités, et d'éviter toute monotonie et toute lassitude à l'auditoire. La cerise sur le gâteau Mais au plaisir du détail se sont ajoutées, ici et là, les pointes de Ziad Gharsa. Deux moments : un «aroubi H'ssine Saba», restitué au mouvement près (sorte d'hommage) à la façon de maître Tahar Gharsa. Quel passage! et quelle émotion ! Qui prétend que le «Tounssi» n'atteint pas au tarab devrait réviser sa copie. Et puis une seconde impro ponctuant une chanson du patrimoine algérien (mélodieuse, syncopée). Comment décrire l'inspiration? C'était une impro de «Ahât», partie d'un mode (mazmoun) et qui a fait pratiquement le tour des modes. Transitions, interactions, transpositions : un régal, et des trouvailles impossibles, inouies. Ce passage exceptionnel a-t-il été enregistré? Pas sûr, et c'est bien dommage, car ces culminances «impromptues» écrivent souvent l'histoire du chant. La cerise sur le gâteau à présent : on a nommé Mahrezia Ettouil. Ziad Gharsa a eu l'excellente idée de l'associer à son programme. On a eu déjà l'occasion de dire tout le bien que l'on pense de cette jeune chanteuse. Et les habitués des concerts mensuels de la Rachidia sont assurément de notre avis. Restait la (énième) confirmation à l'ouverture du festival de Testour. C'est fait, mais de quelle manière, et avec quel talent! Mahrezia Ettouil a interprété deux chefs-d'œuvres de Jouini («Quibghit ettiri ya hmama») et de Riahi (Yalli Dhalemni). Elle en est coutunière. Cette fois-ci, cependant, elle était dans le surpassement absolu : vocal et créatif à la fois. On ne va pas retomber dans les superlatifs à son propos. Les mots, quand le chant s'élève à ces hauteurs, ne disent pas grand-chose. Contentons nous de ceci : avec Mahrezia Ettouil on a certainement affaire à une nouvelle personnalité du chant. Une voix qui ne ressemble, à nulle autre : timbre voilé, traversé par de magnifiques «sanglots», et des techniques et une étendue vocales à couper le souffle. Graine de Diva et c'est tout!