Critiquant le défaut de modèle de développement et la logique des équilibres financiers adoptée dans la loi de finances 2014 et 2015, experts économiques et militants de la société civile réclament des réformes stratégiques qui consacrent entre autres la justice fiscale et sociale. Le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (Ftdes) a présenté hier, lors d'une conférence de presse tenue à Tunis, sa lecture critique du régime fiscal tunisien et de son rôle dans l'instauration de la justice sociale, ainsi que de la loi de finances 2015. L'expert économique et membre fondateur du Ftdes, Abdeljelil Bedoui, considère que la loi de finances (LF) 2015 est une continuité des idées appliquées dans la loi de finances 2014 dont l'objectif était de préparer la relance économique. Il a critiqué le manque d'efficacité des procédures engagées en dépit du fléchissement du prix du pétrole sous la barre des 90 dollars le baril, alors que la LF 2014 l'avait calculé à hauteur de 110 dollars le baril (pour chaque dollar de moins, le coût global est réduit de quelque 50 millions de dinars). Idem pour le prix des céréales qui a baissé au-dessous des estimations de la LF 2014. Bedoui a aussi évoqué l'amélioration de la situation économique de la zone euro qui a connu une croissance économique positive de 0,2%, alors qu'elle était négative en 2013, ce qui a affecté positivement le taux d'inflation tunisien et le prix des produits importés de cette zone, principal partenaire pour la Tunisie. Sur le plan national, il a indiqué que les indices de la saison agricole sont plutôt positifs. « En 2014, on tablait sur un taux de croissance, revu à la baisse, de 2,8% mais finalement on aura un taux moins de 2,5%, ce qui implique que cette loi de finances n'a pas atteint ses objectifs. Et même avec les avantages accordés aux investisseurs, notamment en matière d'impôts pour impulser le rythme d'investissement on n'a abouti à rien de concret », a-t-il insisté. Et de regretter : « On aurait dû soutenir l'investissement public ainsi que les PME. Ce n'est pas acceptable que l'Etat laisse tomber son rôle d'investisseur et de régulateur. On a laissé à part le code d'investissement dont les avantages accordés aux investisseurs ne sont pas sujet de différentiation entre les secteurs, alors qu'il doit être réformé avec une vision sectorielle pour être plus efficace. Avec la faiblesse des investissements intérieurs et extérieurs le taux de croissance restera faible ».. C'est encore la classe moyenne ! Pour ce qui est du projet de la réforme fiscale, Messaoud Romdhani, membre du bureau exécutif du Ftdes, a estimé que continuer avec la même politique économique et fiscale est synonyme d'instabilité économique et sociale. De son côté, le syndicaliste et député au prochain parlement, Adnène Hajji, a déclaré que c'est toujours la classe moyenne qui forme la grande base des contribuables, alors que, selon ses dires, les riches restent bénéficiaires de ce projet de réforme fiscale. Le membre du bureau exécutif de l'Ugtt, Samir Cheffi, a souligné que ce sont les classes vulnérables de la société tunisienne qui sont les plus touchées par l'imposition. Il a, aussi, évoqué le phénomène d'évasion fiscale qui bat son plein et dont les bénéficiaires ne sont que « les richards dont la source des fortunes reste inconnue ». Cheffi s'est lamenté du fait que ces classes inférieures contribuent dans les efforts nationaux, notamment en matière d'impôts plus que les autres classes, ce qui creuse davantage le déséquilibre dans la participation fiscale. Selon l'analyse de Abdeljelil Bedoui, pour réduire le déficit budgétaire il faut réduire l'endettement d'une manière notable, ce qui est difficile avec les problèmes structurels existants. « On a opté pour la logique des équilibres financiers sans un modèle déterminé de développement au lieu d'engager des réformes stratégiques. Il y a un manque d'arbitrage dans les choix ! », s'est-il désolé. D'après lui, la réforme fiscale proposée en tant que projet a déjà été mise en application dans certains de ses points. Les fonctionnaires qui représentent 70 % de l'assiette fiscale, et qui ne bénéficient que de 35% des richesses nationales, participent à hauteur de 48% des impôts directs outre l'imposition sur salaire et la retenue à la source récemment mise en application. D'autre part, Bedoui a évoqué l'impact sur le taux d'inflation des augmentations des prix annoncés pour la prochaine période quant aux carburants et aux produits de consommation. « C'est un comportement d'un Etat fainéant », a-t-il lancé. Et d'ajouter : « Actuellement, on est en train d'opérer des mesures pour améliorer les équilibres financiers notamment pour les entreprises publiques en attendant leur cession. Ces entreprises, au lieu de soutenir la caisse de l'Etat, ont besoin d'injections importantes pour survivre. Il est temps d'engager des réformes à travers l'installation de Holdings afin de les doter d'une certaine indépendance au niveau de la gestion ». Force de proposition Selon Abdeljelil Bedoui, on aura des problèmes dans les ressources d'endettement, ce qui impose un audit à ce niveau, alors que les taux de remboursement vont augmenter durant l'année prochaine sans pour autant avoir des résultats positifs sur la situation économique du pays si l'on continue avec la même méthode de gestion des dettes. L'une des solutions proposées par le Ftdes pour pallier ces défaillances est d'actualiser périodiquement la base du contribuable selon le taux d'inflation et en ayant une base actualisée des classes. Aussi, on préconise l'attribution temporaire des avantages fiscaux au profit des investisseurs en contrepartie d'engagements par contrat objectifs. L'obligation des entreprises a adopter les standards internationaux en matière de comptabilité (IFRS) tout en simplifiant les textes fiscaux ainsi que la réduction du taux de la taxe sur la valeur ajoutée et de l'imposition sur les chiffres d'affaires. D'autres solutions concernant l'amélioration de la productivité de l'administration fiscale et le renforcement du contrôle fiscal ont été proposées. La société civile tunisienne semble passer à un autre palier d'engagement en se présentant en tant que force de proposition des solutions et en ne se contentant pas de la critique...