L'Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts a abrité, le jeudi 13 novembre, une conférence intitulée «La beauté sauvera-t-elle le monde ? La réponse de François Cheng», donnée par Madeleine Bertaud, Professeur émérite de l'Université de Lorraine, spécialiste de la littérature française du XVIIe siècle. Face à un auditoire composé d'intellectuels, de professeurs et d'esthètes de différents bords, le Pr Bertaud a évoqué les réflexions sur la Beauté et ce qu'elle peut apporter aux hommes à travers la poésie de l'Académicien français de naissance chinoise François Cheng, arrivé en France à l'âge de 19 ans de «l'Orient de tout» avec la volonté de rencontrer «l'Autre», dans la pratique ouverte de ce qu'il appelle «l'échange-change», où chacun s'enrichit de la meilleure part de «l'Autre». La vision de François Cheng, insatiable curieux de la beauté, est intimement liée à son vécu. Enfant, il prend conscience de l'existence de la beauté : celle de la nature avec le Mont Lu, un des plus beaux sites de la Chine, dont la silhouette domine le fleuve Yangzi ou «Fleuve Bleu», celle du corps féminin : jeunes occidentales se rendant au bain sous une cascade, images de peintures du Louvre rapportées par une tante voyageuse. Peu après, c'est la Laideur/ le Mal qu'il découvre avec la cruauté humaine qui s'imposa à lui avec la guerre sino-japonaise. Les «massacres de Nankin», particulièrement atroces, entre décembre 1937 et février 1938, le marquent d'images antithétiques qui s'inscrivent profondément en lui et nourriront sa pensée sur la Beauté et le Mal : «deux extrémités de l'univers vivant». Ce «couple» ne cessera de hanter le poète qui n'a, au demeurant, jamais abandonné la vision taoïste du fonctionnement de l'univers selon laquelle la nature et le Cosmos seraient régis par trois souffles qui réunissent tous les éléments de l'univers — homme ou fossile — en «un gigantesque réseau d'engendrement et de circulation» : le Tao, la Voie. Et la beauté, selon Cheng, est le don merveilleux, gratuit, que l'univers nous fait : «Tant qu'il y aura une aurore qui annonce le jour, un oiseau qui se gonfle de chant, une fleur qui embaume l'air, [...] nous nous attarderons sur cette terre...» La beauté a le don de provoquer les ressentis les plus forts et les plus immédiats, qu'ils soient charnels ou émotionnels. D'instinct, la beauté absorbe. En la suivant, l'individu prend une direction, et donne une signification à son existence. Quant à savoir si la beauté est en mesure de sauver le monde, le Pr Madeleine Bertaud a clos sa conférence en donnant la réponse de François Cheng à la question : Cheng nous exhorte à «habiter poétiquement la terre», c'est-à-dire à jouir de sa beauté, à l'accueillir, car la beauté, à l'instant où nous la percevons, «nous fait pressentir l'éternité». L'univers peut fonctionner sans la beauté, ainsi qu'un monde de robots, où chaque être serait interchangeable. Mais, ce qui fait de la vie une aventure réside dans la singularité, la complexité et les différences de chaque être. Chacun se sent habité par une capacité à la beauté et surtout au désir de voir, sentir, toucher la beauté. Quand celle-ci se manifeste, dans la «fulgurance de son élan», elle suscite perception, attirance et exaltation.