Les deux groupes parlementaires dominants, Nida Tounès et Ennahdha, ont opté pour une démarche consensuelle, en proposant de garder la séance ouverte encore deux jours, pour laisser le champ libre aux négociations, qui visiblement n'ont pas mûri. Finalement, la séance inaugurale du nouveau Parlement a eu lieu. C'était hier, 2 décembre, au Bardo, en présence des partis et des personnalités politiques. Un moment T où un événement national se croise avec l'histoire. C'était à la fois solennel et très émouvant. Les nouveaux députés issus des législatives d'octobre 2014 étaient sur leur trente et un. Ils se distinguaient des autres par les badges qu'ils portaient en sautoir et un air d'ébahissement. Ils étaient élus pour une mandature de cinq ans, il y avait de quoi. Le palais brillait de mille feux, il était plein à craquer, les journalistes s'étaient déplacés nombreux. Hier aux yeux des Tunisiens, Le Bardo était le centre du monde. L'ancien président de la Constituante, Mustapha Ben Jaâfar, annonce à 10h45 l'ouverture de la session, par un discours où la mélancolie se mêlait au sentiment du devoir accompli. Il passe en revue les acquis de l'Assemblée qu'il a eu l'honneur de présider, décrit la difficulté de cette période du fait de son caractère constitutif et transitoire. Il ajoute en guise de recommandation «que si le temps écoulé se spécifiait par son aspect théorique et l'élaboration des textes, à présent place à la pratique, c'est autrement plus difficile», a-t-il mis en garde. Mustapha Ben Jaâfar cède le flambeau de la présidence à Ali Ben Salem, député de Nida Tounès, élu sur la circonscription de Bizerte. Le doyen du Parlement était ému jusqu'aux larmes, une émotion qui a gagné l'hémicycle. Ses deux vice-présidents, Amel Souid et Chakib Bali sont chargés d'appeler les députés un par un. A partir de cet instant commence le cafouillage pour ne plus s'arrêter de la journée. Les noms des élus étaient prononcés de travers par Amel Souid, élue du parti Ennahdha. Comment l'expliquer ? Alors qu'il suffisait d'une répétition une demi-heure avant le coup d'envoi pour éviter ce désagrément public qui a entaché la majesté du moment. Hélas, ce n'était pas le seul. Le président a eu du mal même à imposer la levée de la séance pour la pause-déjeuner ! L'après midi, c'était difficile La séance reprend difficilement dans un hémicycle vide. Au fur et à mesure que les travées se remplissaient, les divergences éclataient en plein jour, entre, schématiquement, deux ensembles : le premier, légaliste, collait au texte de loi et exigeait que la plénière d'ouverture donne lieu à l'élection du président de l'Assemblée. Une position défendue par le Front populaire et les représentants des petits partis. Les deux groupes parlementaires dominants, Nida Tounès et Ennahdha, ont opté, eux, pour une démarche consensuelle, en proposant de garder la séance ouverte encore deux jours, pour laisser le champ libre aux négociations, qui, visiblement, n'ont pas mûri. Deux démarches qui s'appuyaient l'une et l'autre sur des argumentations juridiques, raisonnements analogiques. Problème, face aux députés qui s'affrontaient à coups d'éclats de voix et d'arguments, et à chacun sa rhétorique, le président de la séance a eu du mal à maîtriser la salle et à se maîtriser lui-même. Résultat, en donnant raison à tout le monde, il en est arrivé à soutenir l'avis et son contraire, en moins de cinq minutes. Ali Ben Salem, poussé dans ses derniers retranchements, a été acculé à se justifier, parfois à jurer ses grands dieux, qu'il était équitable dans la distribution du temps de parole, et ce, jusqu'à brandir haut le Coran. Certains députés reconduits, fidèles à leurs styles, à l'instar de Samia Abbou et Iyad Dahmani, et en souvenir du bon vieux temps, ont pris plusieurs fois la parole. C'était inaudible, et ça rappelait les pires moments de la Constituante. Le choix du doyen Ali Ben Salem, avec tout le respect qu'on lui doit, n'était pas salutaire. Il aurait pu présider la séance matinale qui se limitait aux dispositions protocolaires, et laisser cette deuxième et éreintante partie à un autre élu à même de contrôler le débat et de rapprocher les points de vue. Qui a dit que le diable se cache dans les détails ? Jusqu'à l'écriture de ces lignes, rien n'avait été encore décidé : opter pour une présidence tournante ou permanente du parlement, élire ou choisir deux vice-présidents ou plus, se donner plus de temps ou clore la séance avec l'élection du président. Chacun campait sur ses positions dans un état d'extrême agitation. Rien n'a été facile ni même glorieux, au regard des attitudes des uns et des autres. Une entrée en fonction du nouveau Parlement, plutôt un départ raté et quelques couacs. Dommage !